Cet article est une version un peu condensée de celui qui vient d’être publié dans la Chronique Internationale de l’IRES, n° 169-170, mars-juin 2020.


Dans le domaine des politiques de soutien aux parents qui travaillent, l’Allemagne a depuis 2016 augmenté ses dépenses en dépit des restrictions en vigueur suite à l’adoption, en 2009, d’une nouvelle règle d’or budgétaire (Schwarze Null). Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de diminution de la population en âge de travailler, inciter et permettre aux femmes d’occuper un emploi, sans devoir renoncer à une naissance, s’est définitivement imposé comme un enjeu majeur des politiques sociales (Kahmann, 2015).

Les tendances observées à ce sujet en Allemagne de 2008 à 2017 (Fagnani, 2018) se sont-elles poursuivies ou stabilisées ? Dans cet article, nous mettons l’accent sur les différences entre les anciens et nouveaux Länder. Peut-on observer une convergence en matière d’emploi des mères ou au contraire une persistance des différences dans un contexte où l’Allemagne unifiée est, depuis 30 ans, soumise au même cadre politique et réglementaire ?

Nous faisons en premier lieu le point sur l’évolution depuis 2017 de la situation des femmes, en particulier des mères de jeunes enfants, sur le marché du travail et de leurs modalités de participation à la vie économique. L’évolution du recours aux structures d’accueil de la petite enfance et aux congés parentaux liés à une naissance est l’objet de la deuxième partie. Nous examinons enfin, dans une troisième partie, si les normes et représentations collectives relatives au fonctionnement de la vie familiale ont évolué en phase avec les changements qui ont affecté les comportements des parents, ceux des mères de jeunes enfants en particulier.

Travail et emploi des femmes : un rapprochement entre l’Est et l’Ouest ?

Jusque dans les années 1980, l’emploi des femmes à l’Est et à l’Ouest divergeait de façon radicale : en RDA, l’obligation d’exercer un travail rémunéré, tant pour les hommes que pour les femmes, était inscrite dans la Constitution. Tous travaillaient à temps plein, les enfants d’âge scolaire et préscolaire étant pris en charge par des structures d’accueil étatiques. Dans les anciens Länder en revanche, les femmes travaillaient, mais la plupart se contentaient d’un emploi à temps partiel, notamment les mères (Lestrade, 2013). La conception traditionnelle du rôle des mères ainsi que le nombre très insuffisant des places d’accueil en crèche ont conduit au maintien du modèle du male breadwinner, dans lequel l’emploi des femmes ne joue au mieux qu’un rôle d’appoint (Jurkzyk et al., 2019 ; Trappe et al., 2015).

Si les changements sociétaux intervenus depuis les évènements de 1968 et leur cortège de modifications de la politique familiale ont conduit à l’Ouest à une redéfinition du rôle des femmes et des hommes au sein de la famille, l’impact à l’Est a été plus brutal et plus profond : le taux d’emploi global des femmes a reculé suite aux nombreuses ruptures dans les structures politiques et économiques et le travail à temps partiel s’est accru (Lestrade, 2016). Trente ans plus tard, peut-on parler d’un rapprochement de la situation des femmes à l’Est et à l’Ouest en matière d’emploi ?

Une augmentation des taux d’emploi des femmes mais des disparités marquées entre l’Est et l’Ouest à l’arrivée d’un enfant

Dans l’ensemble de l’Allemagne, lorsque le plus jeune enfant de la famille atteint l’âge de 2 ans, la proportion de couples où seul le père détient un emploi diminue de façon importante, passant de 46% à 31 % entre 2007 et 2018. A ce stade, les mères ont recours à un emploi à temps partiel, qui passe de 33 à 42 % durant la même période. Le recours au travail à temps plein pour les deux parents a également augmenté, mais de façon moins prononcé, passant de 9 % en 2008 à 14 % en 2018.

Après 30 ans de césure sur le plan politique et économique entre l’Est et l’Ouest, la situation respective des femmes sur le marché travail s’est rapprochée, du moins celle des femmes sans enfant (respectivement 73% et 77%).

Mais la situation s’inverse à la suite d’une naissance et les différences, à ce stade du cycle de vie, entre les deux parties de l’Allemagne restent importantes.

Ainsi en 2018, parmi les mères (vivant en couple) ayant des enfants de moins de 18 ans et dont le benjamin est âgé de moins de trois ans, 24.3% de celles qui vivaient dans l’Ouest travaillaient à temps plein et 75,7% à temps partiel, dans l’Est ces pourcentages atteignaient respectivement 47,8% et 52,8% (Destatis, 2020) [1].

Mais, si les mères de jeunes enfants sont maintenant presque aussi nombreuses à travailler à l’Ouest qu’à l’Est, l’ampleur de leur activité professionnelle, en particulier en ce qui concerne le temps partiel, diverge beaucoup (tableau 1).

Tableau 1. Taux d’emploi des femmes avec enfants à l’Est et à l’Ouest en 2017 selon l’âge de l’enfant et le nombre d’heures ouvrées par semaine

En %

Note : les données ci-dessus, qui représentent les taux d’emploi des mères d’enfants de 1 à 2 ans et de 1 à3 ans, reflètent l’activité professionnelle réelle : les mères en congé de maternité ou en congé parental ne sont pas comptabilisées.Source : Bundesregierung (2019).

 Des positions professionnelles contrastées entre l’Est et l’Ouest

Une étude de l’Institut des sciences sociales de la Fondation Hans Böckler (WSI ; Seils, Baumann, 2019) montre que le taux d’emplois précaires – jusqu’à un tiers – est particulièrement élevé dans les zones rurales à l’Ouest du pays où la répartition des rôles au sein des familles reste traditionnelle et où les structures d’accueil des enfants sont encore insuffisantes. De plus, les mini-jobs y sont nettement plus répandus chez les femmes que chez les hommes : une femme sur quatre en détient un à l’Ouest comparé à 16 % à l’Est, un taux comparable à celui des hommes. Globalement, les mini-jobs sont un phénomène propre à l’Ouest – où ils ont été créés – avec des taux de travailleurs précaires dans les Länder très supérieurs à ceux de l’Est du pays.

Des emplois qualitativement différents entre l’Est et l’Ouest

Pour conclure cette partie, il convient d’ajouter que les divergences persistantes entre l’Est et l’Ouest, concernent également les aspects qualitatifs. Du temps de la RDA, les femmes étaient obligées de travailler, et ce dans tous les secteurs économiques, y compris ceux traditionnellement considérés à l’Ouest comme réservés aux hommes (comme cantonnier ou terrassier, par exemple). Après la chute du Mur, les entreprises, désormais privées, ont embauché de préférence des hommes. Le taux de chômage des femmes devint dès lors plus important que celui de l’autre sexe.

Aujourd’hui, elles affichent, comme leurs consœurs à l’Ouest, un taux de chômage inférieur à celui des hommes [2].

Au final, la dynamique d’interactions entre les politiques publiques, les nouvelles aspirations d’une population féminine de plus en plus diplômée et l’évolution concomitante des représentations au regard du rôle des femmes s’est accélérée depuis les années 1990. Elle s’est traduite par un développement significatif des infrastructures d’accueil des jeunes enfants qui a permis à son tour d’élargir la marge de manœuvre des mères qui souhaitaient s’insérer et/ ou se maintenir sur le marché du travail (Borck, 2014).

Un recours croissant aux équipements collectifs de la petite enfance et au congé parental par les pères

Figurant désormais en bonne place sur l’agenda des politiques sociales et familiales, une série de mesures ont été prises depuis les années 2000 en faveur du développement des équipements d’accueil collectif de la petite enfance (Fagnani, 2018).

Politiques d’’accueil des jeunes enfants : des efforts financiers en augmentation

En dépit des politiques d’austérité instaurées à la suite de la crise économique de 2008 et de la faiblesse des investissements publics [3], les dépenses consacrées aux crèches ont plus que doublé, passant de 14,228 à 30,139 milliards d’euros entre 2008 et 2017. Ces efforts illustrent la volonté du gouvernement fédéral et des pouvoirs publics de mettre l’accent sur le bien-être des jeunes enfants et de promouvoir la qualité de l’accueil tout en augmentant le nombre de places en crèches. En tandem avec la hausse du taux d’emploi des mères (voir supra), la demande d’accueil des jeunes enfants n’a en effet cessé de croître dans les anciens Länder.

Dans ce contexte et en conformité avec les objectifs fixés, la loi sur les crèches (GuteKiTa -Gesetz) en vigueur depuis janvier 2019 prévoit que 5,5 milliards d’euros seront transférés du budget fédéral aux 16 Länder jusqu’en 2022 pour accélérer le développement de ces équipements, améliorer la formation et élever le niveau de qualification de leur personnel et des assistantes maternelles. Une mesure visant à diminuer les coûts nets pour les parents a aussi été adoptée.

Ces initiatives se sont traduites par une augmentation globale de la proportion d’enfants âgés de moins de 3 ans accueillis dans les crèches entre 2016 et 2019.

Tableau 2. Proportion d’enfants de moins de 3 ans pris en charge par une structure d’accueil collectif ou par une assistante maternelle subventionnée en Allemagne (2016-2019)

En %

Source : Destatis (2019b).

Cette augmentation a été significative dans l’ex-RFA. Des différences persistent néanmoins entre l’Est et l’Ouest.

La présence des enfants de moins d’un an dans une structure d’accueil est rare quel que soit le Land, ce qui reflète l’influence déterminante de la durée d’octroi du congé parental et de la prestation qui lui est associée, l’Elterngeld [4], sur les comportements professionnels des mères à la suite d’une naissance. En revanche, le clivage Est/Ouest reste important concernant les enfants d’un an, âge à partir duquel les parents peuvent bénéficier de l’obligation légale pour les municipalités de mettre à leur disposition une place dans une structure d’accueil (Fagnani, 2018 ; Mätzke, 2019) (tableau 3).

Tableau 3. Proportion d’enfants pris en charge dans une structure d’accueil collectif ou par une assistante maternelle subventionnée selon leur âge en 2018

En %

Source : Destatis (2019b).

Dans le cadre des lois récentes (Starke-Familien- Gesetzes et Gute- KiTa-Gesetz), entrées en vigueur en juillet 2019, des efforts budgétaires supplémentaires en faveur d’une augmentation de l’offre de places en crèche et de l’amélioration de la qualité de l’accueil sont prévus à court terme. Les possibilités pour tous les enfants scolarisés en primaire (Grundschüler) de fréquenter l’école à plein temps figurent également sur l’agenda des politiques de soutien aux familles.

Une hausse du nombre de pères en congé parental

De concert avec l’évolution des comportements professionnels des femmes, une nouvelle configuration des modalités de partage des responsabilités familiales se dessine en filigrane depuis la réforme de 2007. Le nombre de pères en congé parental qui perçoivent la prestation de l’Elterngeld ne cesse, en effet, d’augmenter : en 2018, 433 000 pères (1,4 million de mères) ont eu recours à ce dispositif, soit 7 % de plus qu’en 2017. Alors qu’en 2008, seulement 21 % des pères en bénéficiaient, cette proportion atteignait près de 36 % en 2018. Cette évolution contraste avec celle de la France où, en 2018, seuls 6 % des bénéficiaires de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) étaient des pères.

Il convient toutefois de nuancer ce tableau en précisant que, contrairement aux mères bénéficiaires qui attendent que leur enfant atteigne l’âge d’un an pour retravailler (voir supra), huit pères sur dix (79,4 %) se contentent des deux mois réservés à l’autre parent n’ayant pas encore bénéficié de cette prestation [5] (Geis-Thöne, 2018). La persistance de cette dissymétrie au sein du couple illustre que, parmi les facteurs explicatifs des réticences de beaucoup de pères à prendre ce congé figurent aussi les attitudes de nombreux employeurs qui estiment que leurs salariés doivent se conformer au modèle de « l’homme qui se consacre en priorité et intensément à son travail », selon le concept utilisé dans la littérature académique anglo-saxonne de l’« ideal worker norms » (Weisshaar, 2018). Néanmoins, cette avancée vers plus d’égalité entre les sexes est en phase avec l’évolution des normes et des systèmes de valeurs qui influencent les représentations relatives aux obligations familiales et au travail rémunéré des pères et des mères. Dans un contexte où la question de l’égalité entre les sexes s’est imposée sur l’agenda politique et institutionnel allemand, l’influence des valeurs traditionnelles s’est estompée, contribuant à une modeste convergence des opinions et attitudes dans les deux parties de l’Allemagne.

Les normes et représentations vis-à- vis des mères de jeunes enfants qui travaillent : une relative convergence entre l’Ouest et l’Est

Fernandez et Fogli (2009) ont montré que l’héritage de normes culturelles « traditionnelles » perdurait dans le temps, en se transmettant de génération en génération et qu’il y avait en conséquence une relation de cause à effet entre les représentations vis- à-vis des obligations et du rôle des mères dans la sphère familiale et leurs comportements professionnels. La persistance de différences entre les deux parties de l’Allemagne, en dépit d’une relative convergence des représentations, en témoigne.

Le modèle familial « idéal » : des différences marquées entre l’Est et l’Ouest, entre jeunes et personnes âgées

Concernant l’assertion ayant trait à l’organisation de la vie familiale et à la participation des mères de jeunes enfants au marché du travail, on observe que, contrairement à leurs concitoyens de l’Est, les Allemands de l’Ouest restent très réticents à l’égard du modèle parfaitement « égalitaire ». Lorsqu’on demande, en effet, aux personnes si « Le meilleur modèle est celui où la mère et le père travaillent à plein temps et se partagent à égalité les travaux ménagers et l’éducation des enfants », 22,4 % seulement des Allemands de l’Ouest sont « tout à fait d’accord » contre 52,2 % de leurs concitoyens de l’Est. Cette assertion est d’ailleurs la plus clivante de toutes celles qui sont en relation avec les rôles des femmes et des hommes dans la famille (tableau 4 et graphique 1). Mais ce clivage Est-Ouest s’atténue chez les moins de 35 ans alors qu’il reste très prégnant chez les personnes plus âgées.

Corollairement, le modèle traditionnel de « L’homme travaille, et la femme s’occupe du ménage et des enfants » est encore souhaitable pour plus d’un quart des Allemands de l’Ouest (26,2 %) contre seulement 13,7 % pour ceux de l’Est.

Les relations mère/enfant : un sujet qui différencie fortement les deux parties de l’Allemagne

Les résultats précédents sont cohérents avec les réponses quant aux effets supposés (ou réels) du travail des mères sur le bien-être de l’enfant. Lorsqu’on interroge les Allemands de l’Ouest sur ce sujet, en leur demandant notamment si « Une mère qui travaille à plein temps peut entretenir une relation aussi intime avec son jeune enfant qu’une mère qui ne travaille pas », 58,4 % d’entre eux sont « tout à fait d’accord ou plutôt d’accord », contre 81,5 % des citoyens de l’Est, soit une différence marquée de 23 points. Ce clivage net entre les deux parties de l’Allemagne est confirmé dans les réponses à l’assertion selon laquelle « C’est bon pour un enfant que sa mère travaille et ne se consacre pas seulement au travail ménager » : 42 % des Allemands de l’Est sont tout à fait d’accord alors qu’une minorité de ceux de l’Ouest (19,3 %) partagent cette opinion (tableau 4).

Tableau 4. Proportion des personnes qui sont « tout à fait d’accord » avec les affirmations relatives au travail des mères et à la vie de famille dans les anciens et nouveaux Länder en 2018

En %

Note : Le centre de recherché IFO fait partie du Leibniz Institut de l’Université de Münich. Leur enquête a été effectuée en 2016 dans 96 régions, auprès d’un échantillon représentatif de la population agée de 20 ans et plus, dont 20.459 résidaient dans les anciens Länder et 5.241 dans les nouveaux Länder. Les auteurs ont eu recours à analyse de régression multiple. Source : Rainer et al. (2018).

Il est vrai toutefois que l’âge reste une variable discriminante : c’est parmi les personnes âgées de plus de 65 ans que le clivage Est/Ouest est le plus net : parmi les jeunes âgés de 18 à 34 ans, les différences sont bien moindres et c’est parmi les personnes les plus diplômées ou qui ont un emploi que ces différences régionales se sont le plus atténuées (Rainer et al., 2018).

Avec le temps néanmoins, les normes et valeurs en rupture avec celles plus traditionnelles, et longtemps en vigueur en ex-RFA, ont gagné la faveur d’un nombre croissant de personnes. Mais dans les nouveaux Länder, l’adhésion à des valeurs « modernistes » et égalitaires s’est renforcée, ce qui a contribué à la persis-tance des différences Est/Ouest. Il en est de même pour les partisans du modèle traditionnel et de la division sexuelle du travail : si leur nombre a diminué entre 1991 et 2016, il en reste davantage en Allemagne de l’Ouest qu’à l’Est (graphique 1).

Une faible convergence des normes et attitudes entre l’Est et l’Ouest

Selon l’étude sur les représentations et attitudes des parents (Rainer et al., 2018), le modèle qui remporte le plus de succès en Allemagne de l’Ouest est désormais celui du « père qui travaille à plein temps et la mère à temps partiel » (qualifié de « one-and-a-half-earner model » dans la littérature anglo-saxonne), ce qui est en phase avec les modalités de participation au marché du travail des mères de jeunes enfants en ex-RFA (voir supra), où la proportion des personnes qui partagent l’avis selon lequel « Un enfant souffre si sa mère travaille » a corollairement beaucoup diminué depuis la décennie 1990 à l’instar de la partie Est. En Allemagne orientale, ce modèle est accepté avec autant de ferveur que celui où les deux parents travaillent à plein temps (Köppen, Trappe, 2019). En conséquence, les différences de positionnement entre les citoyens des deux parties du pays se sont très peu atténuées jusqu’à présent.

Graphique 1. Opinions à l’égard de la proposition « L’homme se consacre pleinement à son travail et la femme s’occupe du ménage et des enfants » (1990-2016)

Note : sur l’axe des ordonnées figure la moyenne des notes attribuées : 1. Pas du tout d’accord ; 2. Plutôt pas d’accord ; 3. Plutôt d’accord ; 4. Tout à fait d’accord. Source : Rainer et al. (2018).

Durant la période 1990-2016, une majorité des citoyens de l’Ouest restent beaucoup plus fréquemment sceptiques à l’égard de l’idée selon laquelle une mère qui travaille à plein temps peut entretenir une relation aussi intime avec son jeune enfant qu’une mère qui ne travaille pas (graphique 2) car les préjugés relatifs aux effets supposés sur le bien- être d’un jeune enfant restent tenaces bien qu’ils se soient un peu atténués depuis les années 1990. Cette situation contraste une fois de plus avec celle des nouveaux Länder.

Graphique 2. Opinions à l’égard de la proposition « Une mère qui travaille peut avoir une relation avec ses enfants tout aussi chaleureuse et intime que celle d’une mère qui ne travaille pas » (1990-2016)

Note : sur l’axe des ordonnées figure la moyenne des notes attribuées : 1. Pas du tout d’accord ; 2. Plutôt pas d’accord ; 3. Plutôt d’accord ; 4. Tout à fait d’accord.
Source : Rainer et al. (2018).

En revanche, l’affirmation selon laquelle « Une mère qui travaille peut avoir une relation avec ses enfants tout aussi chaleureuse et intime que celle d’une mère qui ne travaille pas », sans que soit précisé si la mère travaille ou non à temps partiel, a gagné de nouveaux partisans en ex-RFA : on y observe une désaffection croissante de 1990 à 2016 vis-à-vis des affirmations selon lesquelles « Le fait que la mère travaille est mauvais pour un jeune enfant » et « Un jeune enfant souffre certainement lorsque sa mère travaille » (graphique 3). Toutefois, les différences Est/Ouest stagnent durant cette période.

Graphique 3. Opinions à l’égard de la proposition « Un jeune enfant souffre certainement lorsque sa mère travaille » (1990-2016)

Note : Sur l’axe des ordonnées figure la moyenne des notes attribuées : 1. Pas du tout d’accord ; 2. Plutôt pas d’accord ; 3. Plutôt d’accord ; 4. Tout à fait d’accord.
Source : Rainer et al. (2018).

En ex-RFA, par contre, les citoyens deviennent beaucoup plus sceptiques (tableau 6) lorsqu’il est précisé que la mère travaille « à temps plein » (respectivement 52 et 32 %). Cette différence est moins accentuée dans le cas des nouveaux Länder (respectivement 73 et 57 %) où avant la réunification du pays, les mères qui travaillaient à plein temps n’étaient pas socialement stigmatisées et étaient même valorisées.

Mais pour mieux évaluer les différences entre les nouveaux et anciens Länder, les auteurs de l’étude (Rainer et al., 2018) ont procédé à une série d’analyses de régressions multiples dont l’une permet de contrôler l’influence des variables individuelles suivantes : l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le statut familial (Ehestand), le niveau d’études (Schulabschluss), le nombre d’enfants, la situation professionnelle, les revenus du ménage. Les résultats montrent que c’est la proposition « Le meilleur modèle est celui où la mère et le père travaillent à temps plein et se partagent à égalité le ménage et l’éducation des enfants » qui différencie le plus fortement les anciens et nouveaux Länder. L’affirmation selon laquelle « Une mère qui travaille peut avoir une relation avec ses enfants tout aussi chaleureuse et intime qu’une mère qui ne travaille pas » clive aussi les réponses mais de façon moins accentuée que la précédente. En revanche, les Allemands de l’Est sont plus rarement d’accord avec l’idée que « ce n’est pas bon pour un enfant que sa mère travaille ».

Conclusion

A la suite de cette analyse, on peut émettre l’hypothèse que les différences Est/Ouest dans les domaines explorés ici vont encore s’atténuer. Les récentes générations en Allemagne de l’Ouest sont, à l’instar de tous les habitants de l’Est, plus souvent séduites que leurs aînés par le modèle égalitaire au sein des couples, bien qu’en pratique le partage réel des tâches domestiques reste asymétrique. Parallèlement à l’évolution des représentations, les efforts concomitants consacrés aux politiques publiques en faveur de la conciliation vie familiale-vie professionnelle pourraient se traduire dans les anciens Länder par une croissance (amorcée depuis quelques années) du taux d’emploi à plein temps des mères de jeunes enfants. Ceci contribuerait à renforcer la tendance à l’homogénéisation des pratiques professionnelles des femmes au niveau national.


[1] Les données de Destatis n’incluent pas les personnes en congé de maternité ou en congé parental.

[2] L’Agence fédérale du travail ne fait plus la différence entre les taux de chômage à l’Est ou à l’Ouest du pays. Globalement, les hommes ont un taux de chômage en 2018 de 5,4 % comparé à 5,0 % pour les femmes. La seule indication que donne l’Agence actuellement concerne le taux de chômage ventilé selon les Länder. Ceux de l’Est accusent encore un taux de chômage global plus élevé que ceux de l’Ouest mais le différentiel entre le taux de chômage des hommes et celui des femmes est dans l’ensemble plus élevé que dans les Länder de l’Ouest.

[3] En Europe, l’Allemagne se distingue par la faiblesse de ses investissements publics, soit 2,25 % du PIB contre 4,61 % en Suède et 3,34 % en France (Source : Eurostat, 2019 : https:// ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/sdg_08_11/default/table).

[4] Cette prestation correspond à 65 % du dernier salaire net (plafonnée à 1 800 euros par mois) pendant un an est délivrée au parent qui s’arrête de travailler.

[5] Lorsque le père recourt aussi au congé parental, la durée totale d’octroi de la prestation des parents passe de 12 à 14 mois.


Sources

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Jeanne Fagnani et Brigitte Lestrade