Nicolas Rochon préside la société de gestion RGREEN INVEST, qui accompagne les acteurs des énergies renouvelables pour se financer. Il met en avant leurs initiatives à travers cet ouvrage de 160 pages. Objectif : apporter une meilleure compréhension d’une nouvelle ère qui s’ouvre. Pour autant, il ne faut pas se tromper de combat. Il s’agit bel et bien de proposer des alternatives peu pourvoyeuses d’émissions de CO2 et mettre fin au pétrole et au charbon. On comprend donc que l’arrêt du nucléaire viendra dans un second temps. Tout ordre inversé aurait des effets négatifs. Pour s’en convaincre, l’arrêt de l’activité humaine, pour éviter la propagation de la pandémie du Coronavirus a entraîné une baisse des émissions de CO2, qui peut être imputée en partie à la réduction de la consommation de pétrole. ll faudra s’en souvenir au-delà du confinement.

En attendant, la forte baisse du prix du baril et l’entente difficile entre les pays producteurs pour encadrer l’offre surabondante viennent bousculer le modèle économique des énergies renouvelables. Avec un baril autour de 50 dollars, elles atteignent un point d’équilibre. Et quand le prix monte vers les 70 dollars, elles deviennent vraiment compétitives. Mais sous 40 dollars, l’or noir reste trop bon marché pour que les énergies renouvelables attirent.

Développer un mix énergétique

C’est le résultat d’une position hégémonique. Or, une bonne politique repose sur un mix, qui n’expose pas un pays, une économie, à une trop forte dépendance : si une énergie vient à se tarir, les autres prennent le relais, selon Nicolas Rochon. Pétrole, mais aussi charbon, nucléaire – pour ce qui concerne la France -, toutes ces énergies dominent trop. Cette dépendance des économies crée des vulnérabilités qui finissent bien souvent par des crises. Prenons le cas du pétrole: le premier choc sur les prix en 1973 a signé le glas des Trente glorieuses en France mais il a aussi poussé des militants ingénieux à faire prospérer l’idée des énergies renouvelables.

Pour ces aspirants à la liberté de choix, à l’autonomie des faits et gestes, à la débrouille par soi-même, la poursuite de cette addiction planétaire pour le pétrole était inconcevable. “Ma transition énergétique” raconte le cheminement de ces projets utopiques devenus rentables. Elle contribue à l’histoire économique contemporaine et à l’explication de l’enchevêtrement in situ des théories économiques, sans jamais être explicite et assumée.

Un livre d’histoire économique contemporaine

Tout part d’une obstination : la crainte que l’homme soit en capacité de modifier le climat et de dépasser les limites. A cela s’ajoute le constat d’une grande disparité dans l’accès aux énergies et d’une privation liée à la faiblesse ou l’absence de revenu suffisant. L’un des plus anciens débats chez les théoriciens de l’économie perdure donc : la répartition des richesses, portée par les néoclassiques. Le lecteur n’aura pas d’apport dans la compréhension de cette répartition, mais plutôt l’esquisse d’une solution viable.

Les premiers militants désireux d’utiliser le vent ou le soleil, des éléments naturels au même titre que l’eau pour l’hydraulique, étaient essentiellement sur un discours, une rêverie… Fort peu sur le comment faire. Et puis, en parfaite application des théories d’Emile Durkheim autour de la foule, des ingénieurs ont commencé de s’intéresser au sujet, trouvant matière à créer, à défricher des horizons inconnus, remplis de sens : démontrer un avenir possible ; produire de l’électricité propre pour un coût modéré.

Un écosystème né de l’innovation collaborative et participative

 Autour de ces idées, il s’est créé un écosystème. Les expériences contées par Nicolas Rochon, mêlées d’avancées, de doutes et de résilience, donnent vie aux grappes d’innovation chères à Schumpeter, démontrant qu’elles sont motrices de la vie économique. Ce n’est pas nouveau, mais en ces temps où l’évident et le bon sens sont fortement contestés, il est utile de le redire, exemples à l’appui.

Les ingénieurs cherchent, essayent, recommencent mais avancent. Surtout, ils s’entraident, s’épaulent, même quand ils vont dans des directions différentes. Les résultats de chacun, positifs ou négatifs, intéressent, ils participent à la progression vers ce monde décarboné. Cette émulation bienveillante et collaborative a été fructueuse et pertinente. Peut-être parce que chaque projet de recherche était à une échelle très locale, très humaine. Peut-être, tout simplement, parce qu’il fallait rapidement démontrer un cercle économique vertueux et en ligne avec les objectifs de départ.

D’autant que les leaders du marché n’ont pas forcément un regard enthousiaste. Là encore, les témoignages de “Ma transition énergétique” illustrent une concurrence impure et imparfaite, à l’inverse de la théorie néoclassique. Dans l’ouvrage, on comprend que cette concurrence faussée tient en une situation de monopole d’Etat qui s’ouvre à la concurrence à la faveur des traités européens, mais garde une position prédominante.

Les politiques publiques en action

Keynes se trouve au cœur de la problématique. La constitution du monopole d’Etat a permis le financement par l’impôt, et c’est encore le cas, de l’infrastructure qui permet à chaque foyer d’avoir un courant électrique à domicile. Les énergies renouvelables ont aussi eu un coup de pouce : le prix d’achat garanti du kilowattheure et les crédits d’impôt pour les particuliers afin de minorer les frais d’installation. L’effet multiplicateur a joué à plein. Un référentiel de prix a permis un équilibre économique, l’arrivée d’investisseurs et le financement de nouvelles phases de recherche. Cette aubaine a tourné vinaigre en 2010 : pour éviter les mauvaises pratiques, un moratoire sur le prix d’achat et les réductions fiscales pour le photovoltaïque est imposé. En vérité, ce ne sont pas les acteurs des énergies renouvelables qui ont abusé, mais une filiale de l’acteur historique. Ses commerciaux ont rongé le bois de la branche où ils étaient assis, jusqu’à ce qu’elle cède.

Les témoignages recueillis par Nicolas Rochon montrent aussi cette manie du politique – en France plus qu’ailleurs – à arriver en retard sur les sujets et, ensuite, à ne pas en sortir quand son action n’est plus utile, ou en tout cas devient contre-productive, faisant écho à Hayek et ses condisciples de l’école autrichienne. Ce sont les politiques allemands qui ont le plus contribué à l’émergence d’énergies alternatives. Les acteurs français ont largement profité de ces choix pris durant les quarante dernières années. Car dans l’Hexagone, mis à part de courtes périodes dont celle qui a mis en place un prix d’achat garanti, la classe politique semble être à côté du sujet. Et même quand un ministre comprend et décide mieux que la moyenne, il commet des erreurs que ses homologues italiens, par exemple, ont su éviter. Lesquelles ? Celles d’un prix d’achat garanti sans réajustement en cas de baisse des coûts de production.

Une nouvelle dimension d’économie locale

La méfiance du politique français et de l’administration d’Etat envers les énergies renouvelables peut s’expliquer. Le modèle devient de plus en plus robuste, rendant vraiment le citoyen autonome. Ce dernier peut prétendre produire l’énergie dont il a besoin à titre personnel, et proposer à ses voisins le surplus. De la sorte, les énergies renouvelables offrent une occasion de renforcer la démocratie en responsabilisant les citoyens.

Les maires sont en première ligne. Ici et là, les premières expériences de coopérative de production d’énergie changent la donne. Au lieu d’être définie de manière globale et nationale, la planification énergétique s’organise sur les enjeux locaux, selon les caractéristiques territoriales et la volonté des habitants. Elle offre même la capacité pour une collectivité de leur verser des revenus, en les associant aux unités de production d’énergie.

La transformation de nos usages

S’il y a plusieurs énergies renouvelables, le livre n’en aborde que deux : l’éolien et le solaire. Il aurait pu parler de biomasse, géothermie… Aucune ne peut être installée partout, faisant des quotas d’installation un non-sens. En revanche, selon la dotation locale en vent, en ensoleillement ou en production agricole, il peut y avoir un intérêt à privilégier plutôt l’une que l’autre, toutes ou une partie. A ce titre, l’éolien ne fait pas toujours l’unanimité, à raison car le respect des paysages fait aussi partie des valeurs des enjeux des énergies renouvelables. A côté, le solaire tient une place à part. Il répond aux vœux des militants pionniers : une énergie accessible à tous pour un prix modique, quelle que soit sa mobilité. Qui aujourd’hui n’a pas un éclairage solaire sur son balcon, sa terrasse ou dans son jardin ? La transformation des usages, sous la ligne d’observation du politique, est en route.

 Les militants historiques étaient donc désireux d’une énergie transformant les liens sociaux, le pouvoir politique, la place du citoyen, tout en respectant la planète. Les acteurs de la finance l’ont permis. “Ma transition énergétique” raconte cette épopée sans trop s’attarder, à tort, sur les solutions qu’apportent les techniques financières, qui innovent et s’adaptent aux besoins des acteurs. Elles reposent sur un engagement long d’acteurs institutionnels, les mutuelles au premier rang. Le particulier est, pour le moment, peu présent, ou de façon ciblée à travers le financement participatif pour lancer des projets à taille humaine de quelques milliers d’euros. Tous auront à contribuer à relever ces défis qui attendent, et en premier lieu le stockage de l’énergie non utilisée. Outre la production, cela demande aussi des adaptations pour organiser différemment la distribution de l’électricité.

 

* « Ma transition énergétique » de Nicolas Rochon, aux éditions Les papiers verts

Mots-clés : Energie renouvelable – Post Covid-19 – Eolien – Photovoltaïque – ISR – ESG – Pétrole – Charbon – Nucléaire – Transition énergétique – Energie décarbonée – Théories économiques – Ricardo – Keynes – Schumpeter – Hayek – Développement local

 

Baptiste Julien Blandet
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