Si la flambée des prix de l’énergie en 2018 n’est pas majoritairement due à la hausse de la taxe carbone en France, c’est néanmoins cette taxe qui a catalysé de nombreux mécontentements et donné naissance au mouvement des gilets jaunes. Après que le gouvernement l’a « gelée » à son niveau de 2018, le futur de cette taxe demeure incertain.

Nombre de pays ont fait face aux même critiques que la taxe carbone française

La taxe carbone s’est heurtée à deux critiques principales. La première est que la taxe carbone n’est qu’une excuse pour prélever toujours plus d’impôts. C’est un sentiment répandu en France. Il y a une défiance envers l’impôt, qui oscille entre l’exigence de ne plus voir augmenter les prélèvements obligatoires et celle d’en avoir pour son argent, de percevoir dans sa vie quotidienne la contrepartie à toute hausse de l’impôt. La seconde critique est celle de l’injustice de la taxe carbone. Au-delà des exonérations dont bénéficient certains secteurs comme l’aviation, la taxe carbone touche plus fortement les classes moyennes et les ménages modestes n’ayant pas accès à des alternatives pour se déplacer ou se chauffer. Sans alternatives, la taxe serait non seulement injuste mais aussi inefficace pour le climat.

La France n’est pas, loin de là, le seul pays à avoir des difficultés – c’est un euphémisme – pour instaurer une taxe carbone qui soit acceptée. Et pas le seul à avoir relevé le défi d’une politique publique conduisant à la hausse des prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises. Fin 2018, la Banque Mondiale dénombrait 29 pays ou provinces possédant une taxe carbone, et 28 marchés carbone à travers le monde. Et ce, sans compter les pays qui ont réduit fortement leurs subventions aux énergies fossiles.

Nombre de ces pays ont fait face aux même critiques que la taxe carbone en France : une taxe injuste et une excuse pour prélever toujours plus d’impôts. Comment y ont-ils répondu ? La clé réside dans l’utilisation des revenus fiscaux. Trois options émergent, qui ne sont pas exclusives les unes des autres.

Première option : baisser d’autres impôts

Certains pays ont décidé d’utiliser toutes les recettes de leur taxe carbone pour baisser d’autres impôts, afin de ne pas augmenter le niveau général des prélèvements obligatoires du pays. Notons que la France avait fait ce choix de neutralité des prélèvements pour les premières années de sa taxe carbone, les recettes allant au Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi, c’est-à-dire à la baisse des cotisations sur le travail.

La Suède ou la Province de Colombie-Britannique, au Canada, ont fait ce choix de « neutralité des prélèvements », et elles ont même été plus loin en diminuant le poids total des prélèvements. La hausse de la taxe carbone a été concomitante à la baisse d’autres impôts : la fiscalité sur le travail ou l’impôt sur les sociétés généralement, en ce qui concerne les entreprises ; l’impôt sur le revenu pour les ménages. Pour ces derniers, les plus modestes ont été exonérés d’impôt ou ont vu leur taux d’imposition total baisser.

Si la Suisse n’a pas assuré la neutralité de ses prélèvements, elle a néanmoins retourné les deux tiers des recettes de sa taxe carbone aux entreprises et aux ménages en baissant les cotisations santé. Tous les résidents suisses ont vu leur cotisation santé baisser d’un même montant, ce qui a permis aux plus modestes – qui consomment moins d’énergie – de sortir gagnants de l’opération.

Deuxième option : faire des versements forfaitaires

D’autres pays ont eu recours à des versements forfaitaires, dans l’esprit de la Prime de Transition Ecologique proposée par Terra Nova en France. En Iran, avant même la réforme des subventions et la hausse – très forte – des prix de l’énergie, le gouvernement a déposé chaque mois 45 USD directement sur les comptes bancaires des Iraniens. Des versements pour tous les ménages qui se sont ensuite, du fait de revenus inférieurs aux projections, focalisés sur les plus pauvres.

En Indonésie, le programme de transferts monétaires a permis, dès 2005, de redistribuer 2 milliards USD aux ménages les plus pauvres, qui allaient au bureau de poste pour récupérer chaque mois 10 USD en espèces. L’Inde a aussi mis en œuvre un programme de transfert monétaire aux ménages. La version initiale du programme ciblait tous les consommateurs de gaz mais, en 2016, le Premier ministre a appelé ceux à revenu élevé à y renoncer : 11 millions d’Indiens l’ont fait.

Troisième option : financer des services collectifs nouveaux

Avec les recettes fiscales issues de la hausse des prix de l’énergie, des pays ont fait le choix de financer de nouveaux services collectifs bien identifiés. L’argent collecté a servi à financer des actions nouvelles, additionnelles. C’est notamment ce qu’ont fait la Province du Québec ou l’Etat de Californie, en affectant les recettes de leurs marchés carbone à des fonds publics dédiés à la transition écologique : aides à l’acquisition de véhicules plus performants, développement des transports collectifs, aides à la rénovation énergétique des bâtiments… L’objectif est de donner accès aux ménages à des alternatives en investissant dans la transition.

La Californie s’est par ailleurs fixé comme objectif d’utiliser 35 % de ses revenus au bénéfice des collectivités et des ménages les plus pauvres. Cet objectif s’applique à tous les projets financés par le Fonds californien : pour accéder à ses aides, les agences publiques doivent préciser quelle part de leur projet, dans le domaine de la mobilité ou du logement par exemple, bénéficiera à des personnes défavorisées.

Quoi qu’on fasse des recettes de la taxe carbone, il faut être transparent

La France peut puiser des idées dans l’expérience des pays étrangers. Vu son propre contexte politique, marqué par une certaine défiance envers l’impôt et un impératif de protection des classes moyennes et populaires, elle a trois options pour utiliser les recettes de la taxe carbone. Trois options qui, toutes, consistent à « rendre l’argent » d’une manière ou d’une autre, et à le rendre en portant une attention particulière aux ménages modestes.

Mais quel que soit l’usage qui est fait des recettes de la taxe carbone – et les pays qui ont réussi leurs réformes ont fait des choix très différents – il faut faire preuve de transparence. L’usage des revenus doit d’abord être débattu bien en amont, sous peine de devenir une pomme de discorde, un point de blocage. Puis il faut rendre des comptes : c’est ce qu’a fait la Colombie-Britannique. Chaque année, le ministre des finances est tenu de rendre compte devant l’Assemblée du respect de l’engagement de neutralité des prélèvements obligatoires. L’Assemblée examine son rapport sur l’utilisation des recettes des deux années précédentes, et valide son plan triennal sur l’utilisation des recettes de la taxe. Le ministre a par ailleurs conditionné 15 % de son salaire au respect de l’engagement de neutralité. Le cas de ce pays montre qu’il est possible d’être transparent sur l’usage des revenus d’une taxe carbone, de le flécher sans pour autant l’affecter à un fonds séparé du budget général de l’Etat.

La hausse de la fiscalité sur l’énergie est un défi politique, et il faudra du temps pour le relever. En apprenant de ses erreurs et des expériences étrangères, espérons que la France pourra trouver un consensus pour faire avancer cette réforme nécessaire.

Mots-clés : taxe carbone – fiscalité – redistribution – climat

Sébastien Postic
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