Des banques en lignes aux néo-banques, il y a bien plus qu’un glissement sémantique. Retour sur l’évolution d’un secteur où ces deux challengers opposent leur culture d’entreprise.

Dès l’antiquité, il fallut s’organiser pour financer des empires et permettre l’essor du commerce. Le banquier reçoit les clients, plaçant sur une table sa « boite de changeur » et s’asseyant sur des bancs dans les lieux de commerce. D’où le nom de banque (banc en italien). Pourquoi insister ici sur l’origine physique de la banque ? Parce qu’il y a un certain paradoxe à ce que ce métier si immatériel se nomme par son lieu physique. Un paradoxe qui tire son explication du rôle clé joué par la confiance : le lieu physique représente le caractère tangible du banquier auquel on peut se référer en cas de besoin.

D’où la révolution qu’a représentée l’apparition des banques en ligne lorsque celles-ci ont proposé de se passer des agences. Aujourd’hui, on parle désormais de néo-banques accessibles sur smartphone où l’humain a quasi-disparu de la proposition.

La tentation est grande de croire que ce glissement sémantique de banque en ligne à néo-banque relève d’une simple évolution des banques par téléphone à une application mobile. Ce serait négliger un changement de paradigme entre ces deux rejetons générationnels de l’histoire bancaire. Banque en ligne et néo-banque relèvent de différences de modèle profondes.

Un ADN différent : Société financière vs société technologique

Valentin Stalf a monté N26 à la fin de ses études après un court passage dans un startup studio. Nikolay Storonsky a fondé Revolut en Angleterre après des études en physique et un poste de trader. On est bien loin du profil de banquiers traditionnels. L’inexpérience de ces jeunes entrepreneurs, couplée à des systèmes d’information agiles, leur donne une grande liberté pour réinventer la banque. Les équipes technologiques représentent plus de la moitié des effectifs de ces startups sans que leur croissance ne remette en cause ce ratio : elles restent des entreprises technologiques alors que les banques traditionnelles se sont attachées depuis 20 ans à réduire le poids de l’informatique dans leur PNB (7,3 % en 2014).

Contrairement aux néo-banques, les banques en ligne sont nées dans l’univers bancaire. Ce n’est pas un hasard. Lorsqu’en 1985, BNP lance Cortal puis en 1994 Paribas lance Banque direct, il faut beaucoup de capital et un système d’information puissant. La deuxième génération des banques en ligne est née de l’extension du domaine d’activité des ex-Sociétés de Bourse qui ont ajouté une activité de banque du quotidien à leur activité de courtage. Leur adossement progressif à des groupes bancaires a permis l’extension de leur activité dans une logique de banque universelle sur un territoire national. Les banques en ligne sont donc nées comme une excroissance bancaire de sociétés venant de l’épargne et étendant leurs activités avec des « produits maison ». Cette filiation a pesé sur leur architecture informatique et leur modularité.

À l’inverse, les néo-banques, appelées aussi banques mobiles, ont pleinement profité des nouvelles possibilités offertes par la technologie et la réglementation. En Europe, la DSP1[1] a ouvert un champ d’innovation à de nouveaux acteurs de l’univers du paiement pour offrir des services indépendamment des comptes bancaires. Alors que les banques conservaient le compte à vue comme pivot du fonctionnement du compte, ces entrepreneurs ont profité du démembrement du paiement du reste de la banque pour offrir un service allégé du poids des autres activités bancaires et donc d’un système d’information devant obligatoirement assurer une intégration cohérente des opérations entre elles. Certains Prestataires de Service de Paiement portent une partie du système informatique et souvent l’agrément qu’ils « louent » à leurs clients néo-banques. Treezor a ainsi permis à Qonto et Anytime de se lancer avec moins de 1 MEUR sur le marché des professionnels et Mambu et Wirecard étaient derrière N26 à son lancement. Les néo-banques ont pris en charge la création des apps, la relation avec le consommateur et la cohérence de l’expérience client. Il en découle que les néo-banques ont des coûts de fonctionnement variables alors que les banques en ligne ont un système d’information interne à coût fixe. Une différence de taille qui a deux impacts structurants.

D’une part, ce démembrement a permis de simplifier le service puis de s’appuyer sur une architecture technique par essence, urbanisée : pour le client, chaque offre est alors conçue uniquement pour rendre le service attendu en optimisant l’expérience client : temps réel, modification des paramètres à la volée, catégorisation des dépenses, visualisation ergonomique du compte… Les banques mobiles ont proposé de remplacer la proximité physique par une nouvelle proximité : le temps réel. Vu du client, c’est le sentiment qu’on prend en compte immédiatement sa préoccupation et qu’on lui libère l’esprit, là où la banque reste un univers d’expertise nécessitant l’intermédiation du conseiller.

D’autre part, le coût de traitement des opérations en est considérablement réduit : à moins de 1 EUR mensuel par client. Les  nouveaux barbares intègrent cette baisse des coûts dans leur tarification comme argument de vente et pour accélérer un développement viral. L’open banking leur offre l’opportunité de se constituer en écosystème. Pour beaucoup d’entre elles, il est inutile de chercher à redévelopper ce qui est disponible et fonctionne bien ailleurs. L’avenir dira le bienfondé de cette stratégie, N26 privilégiant l’architecture ouverte (logique Android) et Revolut davantage l’architecture fermée pour contrôler l’expérience (logique Apple).

Des stratégies qui les opposent : Banque sur mobile vs plateforme de services

Les banques en ligne se sont plus ou moins alignées sur les nouveaux prix de marché de la banque mobile. Et elles offrent des services plus riches – à date – que les néo-banques, ce qui permet de les envisager en banque principale pour qui accepte de ne pas voir un humain capable de l’accompagner pour gérer son patrimoine ou tout simplement le conseiller dans les moments-clés de la vie. Pour autant, le modèle des banques en ligne n’est pas des plus simples : elles sont aujourd’hui prises en étau entre la proposition complète des banques traditionnelles qui désormais proposent une offre accessible en 100 % humain, mais aussi en 100 % digital et celle des néo-banques qui proposent une offre simple, mais souvent plus ergonomique à un prix au moins comparable. Leur politique d’acquisition commerciale est de fait très dépendante de leur politique de prime à l’ouverture de compte (jusqu’à 24 % du PNB).

Si les tarifs entre néo-banques et banques en ligne tendent à s’aligner, leurs modèles restent foncièrement différents. Les néo-banques cherchent à proposer un service freemium en s’appuyant sur un coût de revient extrêmement bas et à s’assurer que, pour chaque service, plus du quart des clients, attirés par une expérience client exemplaire, souscriront un service à un prix de marché qui leur permettra de dégager des marges significatives au regard de coûts d’exploitation low cost. En bref, quelques clients dégageront une marge importante, non pas au regard d’un prix de vente élevé, mais par rapport à un prix de revient bas. Pour les banques en ligne, le mode freemium se comprend autour du concept de banque universelle qui conduit à subventionner la banque au quotidien pour retrouver une rentabilité grâce aux autres services.

Là où les banques en ligne cherchent désormais à étendre leur clientèle originelle composée d’urbains aisés en s’appuyant sur une offre de banque du quotidien ouverte à tous, les néobanques ciblent plus ouvertement une clientèle se considérant mal servie par les banques traditionnelles. De fait, la banque en ligne se trouve en concurrence de plus en plus frontale avec la banque traditionnelle.

Au contraire, les néo-banques jouent – pour le moment – la complémentarité : elles n’essaient pas d’être compte principal, mais d’être des banques secondaires pour les clients qui cherchent d’abord une banque d’appoint pour le e-commerce, les grands voyageurs ou encore les étudiants. Jouant avec les codes des millenials, elles attirent d’abord une clientèle qui se reconnait dans un profil de niche et dont on traitera le point de douleur. Elles ne sont donc pas perçues par leurs clients comme des banques low cost, mais comme des banques qui font bien ce pour quoi elles ont été choisies, et donc sans attente pour une offre plus complète.

Là où les banques en ligne sont nationales, les néo-banques se pensent internationales comme toute entreprise de la nouvelle économie. Il s’agit d’offrir un service simple à l’usage et unique dans sa construction. De la même façon qu’on peut utiliser son application Uber partout dans le monde, le passeport financier européen a permis à N26RevolutQonto ou encore Anytime de proposer aux particuliers et professionnels de s’installer dans plusieurs pays avec la même base technique (bientôt les USA pour N26 et Revolut). Là où les banques cherchent à s’adapter aux spécificités nationales – et parfois régionales -, les néo-banques ont une vision universelle qui n’est pas sans rappeler la stratégie d’ Apple de Steve Jobs : un produit intuitif dont la simplicité d’usage est le garant de pouvoir toucher le plus grand nombre.

N’oubliez pas leur cousin : la banque complète

Le positionnement des néo-banques est aussi source de grande fragilité, en particulier face aux banques traditionnelles qui résistent bien. En attendant de réussir à bâtir une relation de long terme, les néo-banques s’affirment comme des commodités et sont donc sous la menace d’une mise à niveau des banquiers historiques qui se modernisent à leur tour. L’absence de rentabilité, faute d’un PNB par client aussi élevé et d’une charge d’investissement dans la conquête commerciale, les contraint actuellement à des augmentations de capital sur des valorisations de plus en plus élevées. Cette course en avant les condamne à répondre aux exigences de leurs investisseurs.

Nul jugement de valeur ici entre les concepts. Il appartient à chacun des acteurs d’évoluer et de montrer les forces de son modèle, sans oublier les banques à réseau, banques complètes qui ont montré récemment leur capacité à prendre en compte la révolution digitale et rehausser l’expérience client. Si l’on prend l’exemple du Crédit Agricole , le lancement d’EKO, son compte sans surprise au prix forfaitaire à 2 EUR – agence comprise – ou sa démarche d’épargne récemment lancée pour démocratiser le conseil patrimonial, sont des illustrations du mouvement de la première banque de détail en France pour reconquérir des terrains préemptés par les nouveaux entrants. Les clients réaffirment leur attachement à une banque relationnelle dans un monde où la complexité et l’insécurité rendent plus que jamais utile d’avoir un référent à qui demander conseil pour faire le bon choix pour les décisions importantes ou les moments clé de vie (achat de logement, divorce, succession…). Il y a heureusement de la place à la fois pour l’algorithme et pour l’humain.


[1] Directive Européenne sur les Service de Paiements

Laurent Darmon
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