Cet article a été précédemment publié dans la Synthèse J-PAL, 2013. «Placement et effets de déplacement en matière d’emploi», J-PAL Europe, Paris School of Economics.


La mise en place, dans dix régions françaises, d’un accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi diplômés du supérieur leur a permis de trouver du travail plus rapidement. Cependant, cette amélioration s’est opérée au détriment de ceux n’ayant pas été accompagnés, et elle n’a pas entraîné une augmentation durable du taux d’emploi.

En France, plus d’un quart des jeunes diplômés ne parviennent pas à trouver un emploi stable. De nombreux pays développés sont dans la même situation et leur proposent un appui spécialisé : en les préparant aux procédures de recrutement et en les mettant en relation avec des employeurs potentiels, les organismes d’accompagnement sont censés faciliter la recherche et poser les jalons d’un emploi de long terme.

Ce faisant, a-t-on un impact sur le taux net d’emploi ou se contente-t-on de transférer les possibilités d’embauche des individus non pris en charge vers ceux bénéficiant de l’accompagnement? Il s’agirait alors d’un effet de « déplacement », ou d’éviction. Il est nécessaire de tester empiriquement les services d’accompagnement renforcé pour mesurer leur impact sur le taux d’activité, d’une part parmi les individus en bénéficiant, d’autre part sur l’ensemble du marché du travail.

Bruno Crépon (CREST), Esther Duflo (MIT), Marc Gurgand (PSE), Roland Rathelot (CREST) et Philippe Zamora (CREST), chercheurs affiliés à J-PAL, ont mené une telle étude en France. Dans 235 zones, ils ont sélectionné aléatoirement des jeunes diplômés demandeurs d’emploi à qui a été proposé un accompagnement renforcé dispensé par un opérateur privé de placement (OPP).

Au bout de huit mois, les personnes à qui le programme avait été proposé présentaient une probabilité d’avoir décroché un emploi durable supérieure de 2,5 points de pourcentage à celle de leurs pairs vivant dans la même zone à qui le programme n’avait pas été proposé.
Néanmoins, après douze mois, on n’observe plus de différence.

Ces effets positifs à court-terme pour les bénéficiaires se sont accompagnés d’effets d’éviction pour les non-bénéficiaires. Ces derniers présentaient une probabilité d’obtenir un emploi durable de 2,1 points de pourcentage inférieure à celle des demandeurs d’emploi vivant dans les zones où l’accompagnement renforcé n’était pas proposé. Par conséquent, les demandeurs d’emploi du groupe test présentaient globalement une probabilité de trouver un emploi à long terme quasiment identique à ceux vivant dans des zones sans cet accompagnement.

La faible incidence globale sur le taux d’emploi du groupe test s’explique en partie par un niveau d’adhésion au programme plutôt modeste: seuls 35 % des chômeurs du groupe test ont demandé l’accompagnement renforcé. Par ailleurs, l’influence positive chez les accompagnés s’est vue en partie contrebalancée par un effet d’éviction parmi les membres du groupe test n’ayant pas souhaité adhérer au programme.

• L’effet d’éviction s’est révélé plus fort lorsque les chômeurs éligibles à l’accompagnement se trouvaient en concurrence pour un nombre de postes limités. Cet effet d’éviction repose largement sur des phénomènes de déplacement survenant dans les zones présentant un marché du travail extrêmement compétitif.

L’évaluation

En France, on estime que 25 à 32 % des jeunes diplômés du supérieur ne parviennent pas à trouver un emploi stable dans les trois ans suivant l’obtention de leur diplôme . Certains d’entre eux ne bénéficient pas des allocations chômage en raison d’un nombre insuffisant d’heures travaillées. A partir de la mi-2000, le service public de l’emploi a commencé à recourir à des OPP pour accompagner certains publics menacés par le chômage de longue durée.

Une évaluation aléatoire de ce programme a été réalisée de 2007 à 2010 dans 235 agences locales d’emploi de dix régions françaises. Elle visait à déterminer si le fait de proposer un accompagnement à l’emploi entraînait un effet d’éviction parmi les demandeurs d’emploi non accompagnés, et, le cas échéant, à mesurer cet effet. Ont été sélectionnés aléatoirement près de 30 000 demandeurs d’emploi d’environ 25 ans, ayant obtenu un diplôme de niveau au moins Bac+2 et n’ayant pas trouvé d’emploi stable pendant les six derniers mois au minimum. Près des deux tiers des individus de l’échantillon étaient des femmes, et 67 % d’entre eux ne recevaient pas d’allocations chômage au moment de l’évaluation.

Un premier tirage au sort a fixé pour chaque agence la proportion d’éligibles devant être orientés vers les OPP au cours de l’expérimentation (entre 0% et 100%) ; un second tirage a assigné les individus de chaque zone de l’échantillon dans les groupes test ou témoin. Les individus du groupe test ont alors été mis en relation avec un OPP pour un accompagnement renforcé pendant un an (ceux du groupe témoin recevant l’accompagnement classique de Pôle Emploi). Les membres du groupe test comme ceux du groupe témoin étaient éligibles pour être accompagnés par Pôle Emploi. Cette évaluation a ainsi mesuré les effets d’un accompagnement renforcé dispensé par un prestataire privé par rapport à celui de Pôle Emploi.

Détails de l’intervention

Accompagnement renforcé à l’emploi dispensé par des organismes privés : 

Les OPP, privés ou associatifs, recevaient les noms des chômeurs et les invitaient à adhérer à un programme d’accompagnement pour trouver un emploi durable (six mois minimum), puis le conserver au moins six mois. Les OPP avaient des incitations (jusqu’à 2 100 € par personne accompagnée) pour atteindre chacun de ces objectifs.

Proportion des demandeurs d’emploi locaux accompagnés

Afin d’étudier les effets d’une augmentation ou d’une diminution du nombre de personnes accompagnées localement, les chercheurs ont fait varier la part des jeunes éligibles se voyant proposer le programme dans chaque zone. Cette proportion pouvait ainsi être de 0 %, 25 %, 50 %, 75 % ou 100 % (FIGURE 1). Si le fait d’accompagner certains individus en écarte d’autres des possibilités d’emploi, le taux de chômage devrait être supérieur parmi les jeunes non accompagnés vivant dans des zones où certains de leurs pairs ont reçu un accompagnement renforcé.

Les individus des groupes test et témoin ont été suivis pendant près de deux ans: ont été enregistrés leur participation ou non au programme d’accompagnement renforcé, le nombre de rencontres avec leur conseiller, les prestations dont ils ont bénéficié et leur situation professionnelle.

Les résultats

Seuls 35 % des individus du groupe test ont participé au programme d’accompagnement renforcé. Ce faible taux de participation pourrait s’expliquer par le fait que près de la moitié des participants avait déjà une forme d’activité professionnelle au moment où ils ont été sélectionnés pour bénéficier du programme. Le niveau de participation a été supérieur parmi les individus ne travaillant pas, ayant un niveau d’étude inférieur ou recevant des allocations chômage.

Les membres du groupe test ont trouvé un emploi plus vite que ceux du groupe témoin vivant dans les mêmes zones, mais douze mois après le début du programme, on n’observe plus de différence. À l’horizon de huit mois, les demandeurs d’emploi du groupe test présentaient une probabilité supérieure de 2,5 points de pourcentage d’avoir trouvé un emploi durable. Cette amélioration a surtout touché des hommes, ainsi que les demandeurs d’emploi ayant signé un contrat à durée déterminée (CDD). En revanche, le nombre de contrats à durée indéterminée (CDI) n’a pas augmenté. Toutes les améliorations en termes d’emploi ont disparu après 12 mois (Figure 2).

L’accompagnement renforcé a provoqué un effet d’éviction et réduit le taux d’emploi parmi les individus du groupe témoin vivant dans les zones où le programme était proposé. Dans ces zones, après 12 mois, les chômeurs auxquels un accompagnement avait été proposé présentaient une probabilité supérieure de 2,5 points de pourcentage d’avoir trouvé un emploi durable par rapport à leurs pairs non accompagnés. En revanche, ces pairs présentaient une probabilité inférieure de 2,1 points de pourcentage d’avoir trouvé un emploi durable par rapport à ceux vivant dans les zones où le programme n’était pas proposé. Par conséquent, l’effet net de se voir proposer le programme est faible et non significatif (Figure 3, côté gauche).

L’impact globalement faible de la proposition d’accompagnement renforcé s’explique en partie par un taux de participation au programme relativement modeste (35%). L’avantage direct tiré par les individus ayant adhéré au programme a été largement contrebalancé par les effets d’éviction sur les demandeurs d’emploi assignés au groupe test mais n’ayant pas adhéré.

C’est lorsque les demandeurs d’emploi éligibles se trouvaient en concurrence pour un nombre d’emplois limité que l’effet d’éviction a été le plus fort. Dans les zones du programme présentant des marchés du travail extrêmement compétitifs, le taux d’emploi des individus du groupe témoin était de 7,7 points de pourcentage inférieur à celui des individus vivant dans les zones où le programme n’était pas proposé (Figure 3, côté gauche).

Recommandations politiques

En France, la mise en place d’un accompagnement renforcé à l’emploi a permis à des jeunes diplômés de trouver du travail légèrement plus vite que leurs pairs vivant dans la même zone mais n’ayant pas été accompagnés. En revanche, leur taux d’emploi à long terme ne s’en est pas trouvé augmenté. Cette évaluation n’a pas mis en évidence un effet de « pied à l’étrier » qui aurait permis aux jeunes de voir leur CDD, par nature temporaire, transformé en CDI.

Des effets positifs pour les participants à un programme n’impliquent pas forcément des effets positifs pour l’ensemble de la population. Si les bénéficiaires d’un accompagnement renforcé présentent une probabilité supérieure de trouver du travail, cela peut se faire au détriment d’autres demandeurs d’emploi avec lesquels ils sont en concurrence sur le marché du travail. Cet effet d’éviction peut être tel que l’impact net du programme soit quasiment nul. Cela n’invalide pas pour autant le recours à ce type de programmes, qui ne doivent pas être poursuivis pour obtenir des effets macroéconomiques sur le chômage mais à une fin redistributive, pour rééquilibrer l’accès à l’emploi en faveur de petits groupes bien ciblés qui doivent être soutenus en priorité.

Il est possible de tester empiriquement des programmes de grande envergure portant sur le marché du travail et d’en tirer des éléments pouvant orienter les politiques publiques nationales. La plupart des évaluations existantes de politiques publiques d’emploi comparent des groupes test et témoin constitués d’individus issus des mêmes zones : ainsi, elles ne tiennent pas compte d’éventuels effets de diffusion. Si cette étude n’avait pas été menée à grande échelle, elle aurait conclu à un effet positif à court terme d’un tel accompagnement renforcé à l’emploi: il aurait été impossible de mettre en évidence un effet d’éviction.


D’autres lectures: Crépon, Bruno, Esther Duflo, Marc Gurgand, Roland Rathelot et Philippe Zamora. 2013. “Do Labor Market Policies Have Displacement Effects? Evidence from a Clustered Randomized Experiment.” Quarterly Journal of Economics 128(2).

Bruno Crépon, Esther Duflo, Marc Gurgand, Roland Rathelot et Philippe Zamora
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