Déménagement dans un nouveau bâtiment à Saclay, annonce présidentielle sur le regroupement de grandes écoles du plateau… L’environnement de l’ENSAE est tout sauf stationnaire, mais son projet pédagogique reste pour l’école un point fixe très fort. Même s’il se renouvelle continuellement pour rester en phase avec la recherche, l’innovation technologique et les besoins des entreprises, son cœur reste intangible : il demeure pluridisciplinaire, fondé sur l’interaction de l’analyse économique et des mathématiques appliquées, avec les deux compétences clés que sont la modélisation mathématique et la maîtrise des méthodes les plus avancées d’analyse des données.

L’ENSAE reste donc la « grande école à part » que l’on connaît, dont la forte personnalité se retrouve dans la diversité des recrutements : souvenez-vous de la première année « d’harmonisation » entre taupins qui s’initient à l’économie et économistes qui se renforcent en maths, avant la deuxième année, « année clé du cursus où sont acquis les fondamentaux en micro, macro, statistique mathématique, économétrie ». Ces fondamentaux de la formation ENSAE restent d’actualité et structurent toujours la stratégie de recrutement de l’école : puiser dans le vivier des matheux attirés par les applications des mathématiques à la décision (notamment économique et financière) et des économistes désireux d’acquérir une formation solide assise sur une démarche scientifique rigoureuse. En raison de son positionnement unique, l’ENSAE doit constamment être à l’affût des filières de recrutement dans lesquelles elle pourrait puiser, et intégrer à sa formation des phases de vérification des acquis et compléments de formation.

Intégrer l’ENSAE sur concours

Les concours scientifiques

La principale voie d’accès au cursus ingénieur reste la classe préparatoire scientifique. Le concours d’entrée est depuis 15 ans le concours commun Mines Ponts. L’ENSAE y occupe une place un peu particulière, bien qu’elle en applique exactement les modalités (en particulier les coefficients des épreuves) : de par ses débouchés, mais aussi par le fait qu’elle a été jusqu’à l’année dernière la seule école recrutant exclusivement en filière MP, la plus intensive en mathématiques. Historiquement en effet, le concours autonome de l’ENSAE était identifié, comme l’école à laquelle il destinait, par le fait qu’il ne comportait pas de physique ou de chimie, mais qu’il mettait en revanche la barre très haut en mathématiques, avec une épreuve réputée de topologie. Depuis 15 ans, les taupins qui intègrent l’ENSAE ont probablement des profils scientifiques un peu plus généralistes, puisqu’ils sont sélectionnés sur l’ensemble des épreuves du CCMP, y compris en physique, informatique ou chimie.

Le concours 2018 comporte cependant pour l’ENSAE une innovation, voire une rupture importante : l’ouverture de 10 places en filière PC – Physique Chimie (à comparer aux 55 places offertes en MP). Pourquoi cette ouverture, alors que l’ENSAE n’offre aucun cursus en physique et chimie ? Essentiellement pour permettre la croissance des promotions dans un contexte de fort dynamisme de l’emploi pour les métiers auxquels prépare l’ENSAE, notamment en Data Science, et d’emménagement dans des locaux plus grands sur le campus de Palaiseau. Impossible dans ce contexte de se satisfaire d’une politique malthusienne… mais vigilance cependant : comme toutes les écoles, l’ENSAE doit garder un œil sur les indicateurs de sélectivité au concours, comme le rang d’admission médian, le rang du dernier admis, le premier quartile. Il importe de ne pas dégrader le rang des derniers admis et de développer le recrutement dans le haut du classement : ce sont des conditions pour maintenir l’attractivité de l’école dans les prépas, et un garde-fou pour préserver le niveau de maîtrise scientifique de nos diplômés, lequel fait in fine la valeur du diplôme.

Faire croître significativement les promotions sans dégrader l’exigence scientifique qui est l’une des marques de fabrique de l’école, est donc un défi… La stratégie adoptée – et validée par le conseil d’école puis le conseil d’administration du GENES – consiste à continuer de faire croître de façon mesurée les effectifs en filière MP (on est passé de 45 à 55 places en 3 ans) en tablant sur des efforts de communication accrus et sur la double dynamique de la data science et du regroupement d’écoles sur le campus de l’X, et à explorer l’ouverture à de nouveaux viviers. Car si l’excellence en mathématiques est une marque de fabrique de l’ENSAE, la diversité des recrutements en est une autre. Le choix s’est porté initialement sur la filière PC (physique et chimie), vivier assez large et déjà connu de l’école grâce aux admissions sur titre d’élèves ingénieurs (notamment polytechniciens). Les classes préparatoires PC proposent un programme un peu moins approfondi en maths que les MP, et s’en différencient a priori par des profils scientifiques davantage tournés vers les applications (en premier lieu en physique), avec une appétence moins forte pour les maths pures. C’est la théorie, la réalité des stratégies de préparation aux concours est bien sûr plus complexe… Comme toujours, l’ouverture à une nouvelle filière comporte une dimension expérimentale : il convient de déterminer la capacité de l’école à recruter dans le « haut du panier » de ce vivier, et d’examiner de près les parcours des élèves issus de cette filière.

Au-delà du débat sur le niveau en maths, il ne faut pas oublier que le projet de l’ENSAE, qui nécessite en effet des fondements très solides en mathématiques, est essentiellement tourné vers les maths appliquées et la modélisation sous toutes ses formes. Il est donc probable que de très bons élèves de PC (et demain sans doute de PSI) trouveront leur place dans le projet de l’ENSAE, contribueront à enrichir l’école par un accroissement de la diversité des profils, et permettront peut-être même d’investir des débouchés différents, par exemple dans l’industrie : le besoin de modéliser et de prendre des décisions à partir de données s’étend désormais à tous les secteurs, et les profils pluridisciplinaires ayant une affinité avec les sciences plus traditionnelles de l’ingénieur auront un rôle important à jouer dans la diffusion des compétences délivrées à l’ENSAE. Souvenons-nous aussi que d’autres écoles, certaines tout aussi exigeantes sur les mathématiques que l’ENSAE, recrutent en filières PC et PSI, et que l’ENSAE a par ailleurs développé depuis longtemps une forte capacité à intégrer et accompagner des élèves de profils très divers.

Dans le même esprit de diversification des recrutements, rappelons enfin que l’ENSAE recrute depuis quelques années dans le vivier des L3 scientifiques, par le biais d’un concours mutualisé avec différentes écoles d’ingénieurs (notamment au sein de ParisTech). Cinq places sont ouvertes sur ce concours en 2018, les lauréats rejoignant bien sûr la 1re année, où ils reçoivent, comme les élèves issus de taupe, une formation à l’économie.

Les concours « économie »

C’est le deuxième pilier du recrutement de l’ENSAE, même s’il est numériquement moins important.

Peu d’évolutions ont eu lieu sur ces concours au cours de ces dernières années. En 2018 comme l’année précédente, 20 places sont ouvertes au concours « économie et sciences sociales » destiné à la filière des Khâgnes scientifiques (« B/L»). Les épreuves en sont largement mutualisées avec les concours aux ENS (« Banque d’épreuves Lettres – Sciences Economiques et Sociales »); des oraux spécifiques, notamment en mathématiques, sont cependant organisés par l’ENSAE. Les classes préparatoires BL combinent une formation en économie et sciences sociales ambitieuse, avec un socle de formation solide en mathématiques. Pour le concours 2018, les coefficients mis par l’ENSAE sur les épreuves de mathématiques ont été renforcés.

En 2018, 12 places sont ouvertes au concours « économie et mathématiques » destiné aux classes préparatoires économiques et commerciales scientifiques (ECS). Les épreuves sont largement mutualisées avec les épreuves d’admission aux grandes écoles de commerce.  Comme pour le concours BL, des oraux spécifiques sont organisés à l’ENSAE, notamment en mathématiques. La formation en classes préparatoires ECS aborde l’économie de façon moins approfondie que ce n’est le cas en BL. Le programme de mathématiques y est cependant un peu plus avancé.

Sur ces deux concours, le niveau d’exigence est tel à l’entrée de l’ENSAE que beaucoup d’admis le sont aussi aux écoles les plus prestigieuses de ces filières, comme les ENS sur le concours BL et HEC sur le concours ECS. Mais parmi les élèves admis à la fois à l’ENSAE, et à l’ENS ou à HEC, nombreux sont ceux qui bénéficient désormais de parcours double diplômants. A titre d’exemple, 17 admis à HEC à la rentrée 2017 ont fait le choix de rejoindre le double diplôme avec l’ENSAE afin de pouvoir bénéficier à la fois de la formation en gestion et au management de HEC, et de la formation d’ingénieur statisticien économiste de l’ENSAE, et d’acquérir ainsi un profil hybride très recherché. Le même type de parcours a été mis en place avec l’ESSEC et l’ESCP. Réciproquement, parmi les intégrés sur concours à l’ENSAE, certains avaient déjà fait le choix d’intégrer l’ENSAE en pensant aux possibilités de suivre ces parcours de double diplôme avec les meilleures écoles de management.  Ces parcours relèvent formellement de l’admission sur titre.

Entrer « sur titre » à l’ENSAE

Les admissions sur titre (« AST ») ont toujours représenté un effectif significatif à l’ENSAE, avec 120 places offertes, y compris les doubles diplômes précédents avec les grandes écoles de commerce et les ENS, les polytechniciens, les conventions de double diplôme avec les autres écoles d’ingénieurs, les partenariats étrangers, et les formations universitaires. Ces dernières sont le plus souvent des M1 en mathématiques appliquées aux sciences sociales, ou encore des magistères d’économétrie. Le niveau d’exigence est élevé (une mention Bien en M1 et en L3) et ces profils sont admis le plus souvent en 2e année directe.

Les parcours double diplômants avec les ENS et les grandes écoles d’ingénieurs prennent en général la forme d’un parcours « 2+2 » : deux ans dans l’école d’origine, puis 2 ans à l’ENSAE, avec une admission en 2e année. L’acquisition d’une double compétence par une formation complémentaire à l’ENSAE se traduit ainsi par l’allongement d’un an de la durée des études. C’est le schéma de référence pour les parcours entre grandes écoles (à l’exception notable de l’école polytechnique, les polytechniciens étant par défaut admis directement en 3e année d’école d’application).

La règle de base à l’ENSAE reste que l’admission en 2e année nécessite des acquis solides à la fois en économie et en mathématiques appliquées. Les titulaires d’un M1 de maths ou maths appliquées se voient ainsi en général proposer une admission en 1re année, ce qui est moins attractif que ce que proposent des écoles d’ingénieurs plus classiques, dont le programme permet d’intégrer la 2e année. C’est pourquoi l’école a investi à la fois sur le concours L3 scientifique mentionné plus haut, mais aussi sur un partenariat original avec l’université Paris Sud, dans le cadre d’un programme de double licence en économie et mathématiques. Ce parcours, qui prévoit que les candidats à une admission à l’ENSAE valident plusieurs cours de 1re année de l’ENSAE, permet à de très bons éléments de l’université Paris Sud d’être admis en 2e année du cursus ingénieur de l’ENSAE. Les premiers admis de cette nouvelle filière (5 places) intégreront l’ENSAE à la rentrée 2018.

A l’International, les flux d’entrée en double diplôme viennent de Berlin, via le programme historique d’échange avec l’université Humboldt, mais également d’Afrique via les conventions avec les écoles de statistique africaines (INSEA Rabat, ESSAI Tunis, ENSEA Abdijan, ENSAE Dakar, ISSEA Yaoundé), et plus récemment, via un nouveau programme d’échange avec l’ENIT (école nationale d’ingénieurs de Tunis), qui a bénéficié d’un financement Erasmus sur l’année 2017-2018. Une convention de double diplôme avec l’ENIT entrera en vigueur pour la rentrée 2018.

Enfin, quelques élèves sont recrutés en Chine via ParisTech (double diplôme « ENSAE ParisTech-Université de Tongji ») ou le réseau « n+i », mais, signe des temps, et comme dans toutes les écoles, ces flux entrants tendent à se tarir. D’autres projets sont en cours, notamment avec la National University of Singapour.

Le développement du recrutement à l’international est évidemment un enjeu très important. La stratégie de l’ENSAE, compte tenu de sa taille, a toujours été de s’investir dans des réseaux d’écoles pour les développer : historiquement, et encore aujourd’hui avec ParisTech, et demain bien sûr dans le cadre du projet « NewUni », nom de code qui désigne le regroupement en cours de constitution autour de l’X sur le campus de Palaiseau.

Quelles nouvelles perspectives ?

Ce processus de rapprochement en cours avec l’école polytechnique, Télécom ParisTech, Télécom SudParis, et l’ENSTA ParisTech au sein du quartier de l’école polytechnique sur le plateau de Saclay,  est bien sûr le fait marquant qui va structurer fortement l’évolution de l’école.

Ce rapprochement favorisera les parcours croisés entre écoles, double diplômants ou pas, mais devrait également ouvrir de nouvelles perspectives.

La première est d’abord l’extension du programme de « Bachelor » de l’X à l’ensemble du regroupement. Le Bachelor est un programme post-bac en 3 ans, ayant vocation à conférer le grade de licence. Il a une vocation internationale et est positionné explicitement pour concurrencer les programmes « undergraduate » des universités internationales (à Londres, Lausanne…). Une spécificité importante est que les droits et frais d’inscription y sont beaucoup plus élevés qu’à l’université française ou en classes préparatoires. A terme, il sera incontournable d’étudier comment cette nouvelle filière se développera et pourra alimenter les cycles ingénieurs. C’est particulièrement intéressant pour l’ENSAE, puisque de nouveaux parcours pluridisciplinaires et de haut niveau en mathématiques et en économie pourront y être développés : l’ENSAE sera amenée à contribuer à cette formation dans les années qui viennent.

De façon plus générale, le recrutement à l’international est un aspect central de NewUni : le regroupement d’écoles vise à construire une entité fondée sur l’excellence scientifique et un haut niveau de sélectivité, sur le modèle des grandes universités technologiques mondiales. Les élèves recrutés au sein de NewUni auront sans doute en premier lieu vocation à intégrer les programmes mutualisés de Bachelor, de masters et de  PhD, les plus lisibles à l’international et sur lesquels l’ENSAE investira fortement, mais aussi probablement pour certains d’entre eux les formations d’ingénieur, dont la spécificité reste le très haut niveau de formation scientifique délivré sur un large spectre de disciplines, couplé à une forte proximité avec les entreprises. Ainsi, le projet NewUni constituera au cours des prochaines années un levier très important pour développer encore le projet pédagogique de l’ENSAE. Mais c’est une autre histoire, qui fera l’objet d’un autre article…

Pierre Biscourp
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