Avec l’explosion de la donnée digitale multi-sources, multi-formats, les métiers de la data se sont eux aussi démultipliés en expertises très pointues. Il est difficile, aujourd’hui, pour une seule personne, de détenir l’ensemble des compétences utiles. Le Chief Data Officer (CDO) a alors pour rôle d’accompagner la synergie de ces expertises, car c’est de la collaboration que viennent les propositions disruptives.     

Sur le marché publicitaire, chaque annonceur sélectionne, par des appels d’offres, son réseau d’agences qui aura vocation à l’accompagner pour la conception et la mise en œuvre de sa stratégie marketing.

Les agences médias sont sollicitées pour la priorisation et la méthodologie d’activation des différents leviers off-line (TV, presse, affichage, radio, … ) et on-line (bannières médias, vidéos en ligne, social média, …).

Pour mettre en œuvre ces stratégies, les agences, souvent dans une approche agnostique, entrent en relation avec les acteurs médias et leurs régies pour mettre en place les campagnes publicitaires. A titre d’exemple fictif mais néanmoins illustratif, l’agence média Carat peut recommander à l’annonceur «Coca-Cola» de programmer son nouveau film publicitaire TV en sélectionnant via la régie du groupe TF1, les tranches horaires regardées par les 18-25 ans, cible de la marque.

Cartographie des métiers de la data dans une agence Média 

Dans ce contexte, quels sont les enjeux de l’apport de la data ? Qu’est-ce qui a changé avec l’essor du digital ?

La collecte d’insights pour nourrir la stratégie

Lorsqu’une agence reçoit d’un annonceur un « brief média », c’est-à-dire l’exposé des objectifs et des attentes de l’annonceur sur ce sujet, l’agence média doit s’interroger sur les enjeux business de la marque, sur les audiences à recruter, les contenus et les leviers à actionner.

Autrefois simple faire valoir de la vision stratégique de l’annonceur, la connaissance client aujourd’hui identifiée comme la collecte d’insight est un élément clef de la stratégie. En effet, l’insight, terme générique qui signifie « la détection de la perception par le consommateur d’un problème ou d’un dilemme non résolu sur une catégorie de produits », est la source d’inspiration pour détecter des idées innovantes de services visant à améliorer l’expérience des clients.

Les panels d’études multi-marques restent des outils majeurs de compréhension des profils d’audience : par exemple, l’étude SIMM TGI, menée par le groupe Kantar, est la référence du marché pour la connaissance des comportements individuels liant l’observation de consommation de biens et services avec les comportements de consommation médias. Cette étude permet de mettre en évidence les médias ou supports à utiliser pour toucher les consommateurs de tel ou tel produit et/ou de tel ou tel profil. Elle constitue un outil d’aide à la décision dans la démarche de mediaplanning.

Certaines agences, comme Dentsu, possèdent leur propre panel, par exemple le panel CCS (Consumer Connection System) qui a l’avantage d’être international, approfondi sur les habitudes médias, mais surtout de pouvoir poser des questions ad-hoc complémentaires.

Le métier du Market Research s’est déjà enrichi en complétant les méthodes traditionnelles des questionnaires quantitatifs et d’interviews qualitatives par des éléments plus digitaux comme les interviews sur les pages Facebook des marques, les forums ad-hoc permettant de contacter des interviewés de différentes zones géographiques sur quelques jours de conversation, les tests utilisateurs pour observer directement l’expérience sur la base d’une maquette du service imaginé.

Mais ce qui a réellement révolutionné l’insight, c’est l’accès quasiment en temps réel à des volumes de données venant des conversations sur les réseaux sociaux, de requêtes des moteurs de recherche, ou du tracking des parcours sur les écosystèmes digitaux.

En plus d’être en grande quantité de volume et en continu, ce flux de collecte a la caractéristique de pouvoir être associé, via les cookies, à des audiences directement activables sur les médias digitaux par l’intermédiaire de bannières média, de vidéos on-line, de posts sur les réseaux sociaux, … d’où la terminologie d’audience-planning de plus en plus utilisée pour nommer le médiaplanning, afin de mettre l’accent sur le parcours consommateur.

L’activation personnalisée pour une meilleure pertinence de l’expérience client

Depuis l’arrivée d’Internet, l’intérêt de la personnalisation des contenus publicitaires n’est plus à démontrer ; elle est une condition nécessaire, mais plus suffisante pour les consommateurs. En effet, au-delà du bon contenu adapté à la bonne audience, les notions de pression, de moment, de contexte … sont des indicateurs eux aussi essentiels. Qui n’a pas en mémoire une bannière média exposée sans fin à chaque visite sur le web, pour un produit sur lequel on a eu la malencontreuse idée de clicker, ou qu’on a acheté de façon ponctuelle.

La communication directe entre la marque et ses clients, c’est-à-dire le CRM (Customer Relationship Management), a initié les démarches de personnalisation et les approches « test & learn » qui consistent à tester, mesurer, optimiser, puis tester à nouveau.

L’essor de la Big Data sonne-t-il le glas du CRM ? Non bien au contraire !

Le média digital prolonge le CRM, au sens où l’on passe du parcours client « fermé » à un parcours « Research Online Purchase Offline » et sa réciproque, parcours tracé à chaque étape de la connaissance du contact, qu’il soit anonyme car connu par son seul numéro de cookie, inscrit à une newsletter, ou qu’il soit un client bien identifié dont on connait le nom et l’historique des achats grâce à une carte de fidélité.

L’esprit du CRM s’étend mais l’exigence des compétences data se développe avec des besoins en algorithmes prédictifs plus puissants, des expertises en tracking des parcours digitaux, sur site ou sur bannière, en analytics, en pilotage des flux, sans oublier la sécurité des données et la législation sur les données personnelles.

En ce qui concerne les médias du off-line, l’analyse géomarketing est un pilier de la personnalisation. Pour ce métier aussi, la donnée du recensement de l’INSEE projetée à l’IRIS est encore utile à la compréhension des appétences locales ; elle est complétée par des données en temps réel issues des flux de navigation des mobinautes, pouvant permettre d’identifier les centres d’intérêt des consommateurs ou leur passage dans une zone de chalandise, ce qui clôt les anciens débats sur les habitudes d’achat proches du domicile ou du travail.

Pour sceller l’alliance entre CRM et médias, le CRM on-boarding, qui consiste à dédupliquer après anonymisation, via un partenaire tiers de confiance, les bases CRM et inventaires digitaux, illustre la fin des silos entre CRM et médias.

La donnée digitale enrichit ainsi la connaissance des intérêts et des habitudes médias des clients, permettant de les contacter à un moment opportun, avec des contenus pertinents : par exemple, envoyer une publicité d’assurance automobile à un prospect qui visite les pages de voitures d’occasion sur le site Le Bon Coin.

Par ailleurs, les méthodes de « look alike » (terme à la mode pour parler de scoring prédictif) permettent de cibler des audiences à recruter similaires aux segments clients à plus fort potentiel. Cela permet ainsi d’acquérir de nouveaux clients qui auront, à long terme, une espérance de valeur pour la marque.

La mesure de performance au service des enjeux business de la Marque 

Dans une agence média, la performance sera très structurée par l’arbitrage entre les divers leviers et la capacité à mesurer leur véritable impact sur la conversion.

D’un point de vue stratégique, les méthodes économétriques permettent de décomposer le business d’une marque en deux grands blocs.

Le premier bloc correspond à la « baseline » constituée par l’impact des produits, des services, de la concurrence, des facteurs exogènes comme la météo, des indices économiques, sur les ventes. Le second concentre l’impact de la communication avec le détail de chaque levier média. La data nécessaire est agrégée en général à la semaine avec un historique de 3 ans minimum, dans l’idéal.

D’un point de vue plus opérationnel, on peut mesurer l’impact des campagnes publicitaires grâce à des sociétés comme Médiamétrie, qui gère et exploite des panels notamment pour la télévision, ou avec des études déclaratives en post-test quantifiant l’évolution de la notoriété ou des intentions d’achat du public envers une marque entre le lancement et la fin de la campagne publicitaire.

Pour les campagnes digitales, l’analyse prend en compte l’ensemble des leviers utilisés tout au long du parcours jusqu’à la conversion. Par rapport aux méthodes économétriques sur données agrégées, nous sommes sur du plus court terme, des volumes de plusieurs millions de cookies, des datas en temps réel, en revanche les médias du off-line ne sont pas tracés.  Pour cette donnée individuelle anonyme digitale des compétences en tracking, datamining et data visualisation, sont nécessaires.

Il reste à développer les méthodes qui sauront être à la conjonction de la mesure sur données individuelles et sur données agrégées.

A titre d’exemple, si, après avoir été exposée à une campagne TV, une personne tape le nom d’un produit dans la barre de recherche Google, puis accède à la page du site via son mobile pour donner son choix, et enfin va dans le magasin le samedi suivant pour essayer sa sélection, elle aura été exposée à 4 leviers complémentaires on-line et off-line qui auront en partie participé à déclencher son acte d’achat. Si l’on ajoute le contexte de météo, on comprend aisément l’importance de mixer la meilleure de ces méthodologies.

La pertinence de cette mesure permet de mieux allouer les investissements : quelle part du budget total devra être attribuée à la TV, au search (Google), au site, au magasin, pour un nombre de ventes optimal ? C’est le rôle de l’agence Média de recommander cette répartition budgétaire et de prédire l’impact attendu sur la notoriété, le trafic ou les ventes en fonction des objectifs fixés dans le brief de départ de l’annonceur.

Le territoire de la data en agence Média comporte encore de nombreux sentiers à explorer 

Les initiatives de « Data Management Platform » (DMP) ou « Customer Data Platform » (CDP) mutualisées pour concurrencer les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple, frères ennemis des acteurs de ce marché, car sur-puissants) se multiplient actuellement pour pouvoir permettre, à terme, grâce à ces méga-bases, une continuité de la collecte d’insights activables, et la mesure de la contribution des leviers multi-canaux, en passant par une communication fluide tout au long des parcours des consommateurs,  à tous leurs points de contact avec la Marque (point de vente, site, campagne TV, affichage, bannière publicitaire sur le web, email, …).

En conclusion, les métiers de la data en agence média ont encore de nombreux défis à relever et à dépasser et de belles collaborations à construire, avec l’objectif d’une data éthique et pertinente au service de l‘expérience client et de la performance business des marques.

 

Note : Dentsu Aegis Network est un groupe britannique de publicité et d’études de marché, filiale de Dentsu Inc., première agence de publicité au Japon. Dentsu a acheté en 2012 Aegis Group, qui a pris le nom de Dentsu Aegis Network en janvier 2014.

Hélène Gombaud-Saintonge
Les derniers articles par Hélène Gombaud-Saintonge (tout voir)