Les médias existent depuis longtemps. Destinés initialement à diffuser des contenus d’information – au sens large du mot -, y compris pour l’affichage, ils ont intégré peu à peu des contenus de nature publicitaire, sous des formes de plus en plus variées. Cette cohabitation a conduit à l’émergence d’un intéressant modèle économique mixte.

Vue à travers le filtre de l’audience et de sa mesure, la publicité est un genre de contenu comme un autre. Elle possède néanmoins des caractéristiques qui lui sont propres : les indicateurs basés sur la mesure d’audience sont différents, et en outre la quantification des expositions publicitaires varie de média en média, selon les dispositifs de mesure et les conventions qui leur sont associées.

Cet article est en deux parties : la première aborde les origines de l’écosystème des médias ; la seconde est consacrée au paysage actuel.

Partie 2 : l’audience

Une nécessité pour accéder aux médias : l’équipement

Depuis 1995, l’apparition d’internet et la convergence numérique ont fait considérablement évoluer les accès aux médias. L’équation historique liée à la diffusion analogique – un média = un récepteur (poste de radio, téléviseur) – a disparu avec l’apparition d’appareils multi-fonctions. La tablette, ou plus encore le smartphone en sont de parfaits exemples : ils permettent ce qui était encore impensable il y a quelques années, utiliser le même objet pour parler, écrire, échanger mails, données, textes, images fixes, videos, écouter la radio, regarder la télévision, etc …L’individu qui était uniquement récepteur devient aussi émetteur (User Generated Content, selfie, …).

Bien que récents, puisque le lancement commercial du smartphone date de 2007 et celui de la tablette de 2010, leur taux de possession est en progression constante : le taux de foyers équipés d’au moins une tablette mobile est passé de 14 % au quatrième trimestre 2012 à 47 % au premier trimestre 2017. Entre fin 2009 et début 2017, la proportion de possesseurs d’un smartphone a évolué de 16 à 66 %.

Le taux d’équipement en ordinateurs est de l’ordre de 85 %, et en 2017 près de 85 % des personnes vivant en France ont accès à Internet depuis leur domicile, quel que soit le mode d’accès (micro-ordinateur, tablette, smartphone).

L’objet culte que continue à être le téléviseur est présent chez près de 94 % des foyers, et environ 47 % de ces foyers sont multi-équipés.

Cette multiplicité technologique est particulièrement illustrée par l’accès au média Radio. Le poste de Radio des années 1930 a bien évolué : pratiquement 100 % des individus possèdent au moins un objet autorisant l’écoute de la radio (autoradio, chaîne hi-fi, radio-réveil, baladeur, PC, tablette, téléphone, téléviseur, poste à transistor,…). Le « transistor », apparu commercialement fin des années 1950, est encore présent chez près de 50 % des ménages.

En moyenne, un foyer vivant en France dispose de près de dix supports donnant accès au média Radio. Et ces supports sont tous utilisés : au premier trimestre 2017, en moyenne quotidienne, 6,8 millions de personnes âgées de 13 ans ou plus écoutent la radio sur un support multimédia, et ce type de supports représente environ 12 % du volume d’écoute de la Radio.

En nous limitant aux objets possédant un écran – téléviseur, PC, smartphone, tablette –, le nombre moyen d’écrans par foyer est de l’ordre de 6,5, et plus de 9 pour les familles avec enfant. Nous sommes bien loin du paradigme initial « un émetteur et un récepteur par média ». L’accès aux contenus, et par ricochet aux contenus publicitaires, est général.

Une mesure ou des mesures ?

Un dispositif d’observation est la solution d’une équation à trois paramètres : la technologie de recueil des données, l’échantillon observé, et le cadre conventionnel.

Les dispositifs de mesure

Points communs à l’ensemble des médias : chaque média est mesuré et les mesures ont lieu au niveau individuel : c’est le comportement de chaque individu qui est suivi. Fini le temps de la mesure des foyers. Cependant chaque marché a ses spécificités.

La presse puis la radio ont mis au point des instruments de mesure déclaratifs, alors que les mesures d’audience de la télévision et d’Internet, plus récentes, sont maintenant électroniques : la TV par audimètre et Internet par un logiciel embarqué, le tout avec l’accord des panélistes. En effet, contrairement à ce qui est parfois écrit, ce ne sont pas des dispositifs « passifs » : certes, si les membres de l’échantillon ou du panel observé ne déclarent pas directement leurs comportements ou leurs audiences, ils participent volontairement et activement au système d’observation, et non à leur insu.

Les tailles d’échantillon sont différentes ; par exemple, les mesures d’audiences de la télévision et de l’Internet reposent sur des échantillons dont les tailles respectives sont de 12000 pour la TV et 20 000 individus pour Internet sur PC. La Presse interroge annuellement 35 000 personnes, et l’échantillon annuel de la Radio est de 126 000.

Univers étudiés et rythmes des résultats divergent également : la lecture de la Presse porte sur les 15 ans ou plus, la Radio sur les 13 ans ou plus ; l’âge minimal pour la télévision est de 4 ans, de 2 ans pour Internet, de 11 ans pour l’Affichage. La Presse publie deux résultats annuels, la Radio quatre, les indicateurs d’audience d’Internet sont mensuels, quotidiens pour la télévision et par minute, par émission, par chaîne.

Au plan spatial, la radio, la presse et l’internet couvrent tous les lieux, là où la convention de la télévision ne concerne que la résidence principale, à l’exclusion du « hors domicile » et des espaces collectifs.

Des systèmes en évolution permanente

Heureusement, un dispositif de mesure n’est jamais figé, il doit s’adapter aux nouvelles technologies, aux nouveaux modes de diffusion ou de réception.

Ainsi, en télévision ou pour Internet, le qualificatif le plus employé actuellement est : global. Si historiquement la convention de mesure de la télévision a été la vision en live sur écran de téléviseur, à domicile, le dispositif a intégré le différé depuis 2011 ; le marché français a décidé d’y ajouter les offres de Catch Up TV – télévisions de rattrapage – dès la fin 2014, et est en marche vers une mesure de la « télévision quatre écrans », ajoutant le temps passé à regarder des contenus TV sur l’écran de l’ordinateur, de la tablette ou du smartphone, en linéaire ou en délinéaire. En marche donc vers la « TV 4 écrans ».

De même pour Internet : les dispositifs distincts de mesure sur l’écran du PC, les smartphones et les tablettes sont en train de converger pour donner naissance à un « Internet Global 3 écrans », que ce soit par rapprochement mathématique ou par émergence de panélistes « single source ».

En Presse, AudiPresse – l’actuelle ACPM – a procédé à une avancée majeure en 2013, en partenariat avec Médiamétrie, en s’intéressant aux marques presse mêlant les supports papier et digital, l’entité multi-support étant dénommée « Brand ».

Cette approche a permis de montrer, en 2017, qu’en moyenne mensuelle, 76 % des 15 ans et + sont des lecteurs digitaux au sens où ils accèdent au moins une fois par mois à un contenu presse via un site ou une application mobile. Et en moyenne, pour une marque presse, 44 % de lecteurs sont exclusifs du papier, 34 % ne lisent que sur PC ou sur écran mobile (et 22 % dupliquent entre support papier et support numérique).

Les créations publicitaires

Un facteur d’hétérogénéité est la diversité plus ou moins grande des créations publicitaires. Si celles-ci sont homogènes en presse, en radio ou en télévision – elles peuvent différer par la taille ou la durée –, l’affichage, maintenant appelé la publicité extérieure ou outdoor, a intégré la dimension numérique, et il connaît une diversification dans ses points de contact : aux réseaux traditionnels d’affiches, qui peuvent avoir des formats différents, se sont ajoutés le mobilier urbain, les transports – bus, taxis, métro, gares, trains, aéroports, parkings –, les points de vente – vitrines, centres commerciaux –, l’événementiel – couvertures de façades d’immeubles – et, bien sûr, l’affichage digital qui dialogue avec les objets numériques des passants.

Le monde numérique a permis d’innover également dans les contextes publicitaires : les télévisions connectées, le OTT (Over the top), les écrans compagnons que sont les tablettes et les smartphones sont autant d’occasions de diversifier et même renforcer le dispositif de contact de la publicité.

Quant à Internet, c’est une source permanente de renouvellement de la création et des modes d’insertion : il existe une multitude de formats qui autorisent des modes de contact et d’exposition avec l’internaute fort différents. Selon l’IAB – Interactive Advertising Bureau –, les deux grands types de formats sont le display et la vidéo. En leur sein, l’IAB définit plusieurs standards.

Les indicateurs d’audience et publicitaires
Côté médias

De façon générique, un individu fait partie de l’audience d’un support dès lors qu’il a une probabilité non nulle d’être en contact avec ce support, l’ensemble étant mis en œuvre selon des conventions établies avec le marché ; cette probabilité non nulle est ce que les anglo-saxons traduisent par « opportunity to see » (OTS) ou « opportunity to hear » (OTH).

Ainsi, en presse, un individu est considéré comme « lecteur » d’un titre de presse s’il déclare en avoir lu, consulté ou feuilleté un numéro, même ancien.

La presse a donc une vision dichotomique en classant la population en deux catégories « lecteur / non lecteur ». Un « lecteur » est quelqu’un qui a une probabilité non nulle de contact, et par extension il est considéré avoir eu un contact avec l’ensemble des contenus, y compris les encarts publicitaires. On est donc dans une logique de calcul en « nombres entiers », par addition de 0 et de 1.

En TV sur téléviseur, un téléspectateur est une personne se trouvant dans la même pièce qu’un téléviseur allumé sur une chaîne de télévision. Par contre, ce qui est mesuré pour chaque individu, c’est sa durée de vision d’une émission E, y compris d’un écran publicitaire. La variable de base est ainsi un taux moyen, rapport de la durée vue sur la durée du programme. Le dispositif ne conduit donc pas à une variable dichotomique (0, 1) téléspectateur/non téléspectateur, mais à une variable continue qui est un degré de vision, une intensité de consommation, prenant ses valeurs sur l’intervalle [0, 1].

Un internaute est une personne se connectant à Internet par le biais d’un terminal (ordinateur fixe/mobile/tablette, selon le dispositif de mesure retenu) en consultant au moins une page Internet ou une application dans le cas de l’Internet mobile.

Pour terminer avec la radio, un individu est auditeur d’une station de radio pendant un demi-quart d’heure s’il déclare avoir écouté, ne serait-ce qu’un instant, cette station au cours de cette tranche horaire ; mais pour chaque quart d’heure et tranche horaire est calculé l’équivalent du taux moyen de la télévision, quotient de la durée écoutée et de la durée de la tranche horaire, encore compris entre 0 et 1. A chaque spot publicitaire on associe le « quart d’heure moyen » de la demi-heure qui le contient.

Co-existent donc deux approches, l’une dichotomique, l’autre continue.

En Presse, la durée de lecture n’étant pas une donnée mesurée, les résultats portent sur l’audience totale – nombre de personnes ayant pris en main un titre au moins une fois au cours des 12 derniers mois –, la Lecture Dernière Période (LDP) – personnes ayant déclaré « avoir lu, parcouru ou consulté » un numéro même ancien d’un titre durant sa dernière période de parution (jour pour les quotidiens, semaine pour les hebdos, mois pour un mensuel), et la Lecture du Numéro Moyen (LNM).

Pour la télévision et internet, les indicateurs principaux reposent  sur la durée de vision, qui est mesurée par seconde.

En télévision, le taux moyen est la référence : proportion moyenne de la population regardant un programme. Pour l’émission particulière qu’est un écran de publicité, la convention de mesure ne distingue pas les spots composant l’écran ; tous les spots d’un même écran se voient attribuer le taux moyen de leur écran.

Existent aussi la durée d’écoute par individu, la durée d’écoute par téléspectateur, la part d’audience – part de marché usuelle, c’est-à-dire la contribution d’une émission au média télévision pendant sa diffusion –, et l’audience cumulée, nombre ou pourcentage de personnes ayant eu au moins un contact avec le média ou une émission quelle qu’en soit la durée.

La radio dispose d’indicateurs identiques, par tranche horaire.

Dans le cas d’Internet, les indicateurs majeurs sont le nombre de visiteurs uniques, nombre ou pourcentage de personnes ayant eu au moins un contact avec le média ou un site quelle qu’en soit la durée, et le nombre total de pages vues d’un site. Le temps passé par internaute est également calculé, ainsi que le nombre de visites.

Côté publicitaire

A partir des mêmes données, le monde publicitaire construit d’autres indicateurs. Pour fixer les idées, considérons une campagne de publicité de K insertions. Si p(x), x = 0 à K, désigne la proportion de personnes ayant eu x contacts avec la campagne, la suite p(0), p(1), ….., p(K) est la distribution des contacts de la campagne.

L’indicateur juge de paix est le GRP (Gross Rating Point), nombre moyen de contacts avec la campagne de publicité, exprimé en %. Par exemple, dire qu’une campagne a un GRP de 500 sur les femmes signifie qu’en moyenne, une femme a été exposée 5 fois.

La couverture de la campagne est la proportion de personnes ayant été en contact avec cette campagne, quel que soit le nombre de contacts, c’est-à-dire au moins un.

« Le diable est dans les détails » (Friedrich Nietzsche)

Un mot clé, utilisé maintes fois, a été « contact ». Derrière ce mot, compris par tous, se cachent des quantifications diverses, comme il l’a été évoqué plus haut : dichotomique ou continue.

Nous avons vu qu’appartenir à l’audience d’un média, d’un support ou d’un contenu, y compris publicitaire, c’est avoir une probabilité non nulle d’être en contact avec celui-ci.

Le contact est dichotomique avec deux attitudes possibles : en presse, lecteur / non lecteur. En Radio, un individu est auditeur d’un moment d’une station s’il a déclaré avoir écouté, et sa probabilité d’écouter une tranche horaire est une intensité de contact variant entre 0 et 1 obtenue en divisant la durée écoutée par la durée de la tranche. En télévision, le contact avec un écran publicitaire est la proportion de vision de l’écran e, un indicateur continu entre 0 et 1, et non dichotomique.

Dans le monde Internet, le contact est défini de façon dichotomique par le fait d’avoir été exposé à un élément publicitaire, quelle qu‘ait été la durée d’exposition, et quel qu’ait été le format publicitaire utilisé. Il n’existe pas à proprement parler de « durée » de la publicité. Dans le cas d’un pré-roll vidéo, le contact est construit de la même façon, sinon que la publicité a une durée propre.

Le contact avec un format publicitaire Internet a été déterminé par la présence de ce format sur une page html que l’utilisateur a téléchargée, même si la création n’apparaît pas à l’écran. C’est le principe de l’impression servie.

Les évolutions récentes du contact s’orientent vers la prise en compte à la fois de la durée d’exposition et du taux de visibilité à l’écran du format publicitaire : l’orientation est donc vers l’impression vue.

Les approches transversales pluri-médias, et notamment l’émergence de certains formats sur Internet comme la vidéo – image et son, cousins de la télévision – conduisent à une réflexion sur la complémentarité des médias Internet et Télévision, et donc à une homogénéisation du concept de contact pour ces deux médias.

Loin d’être un système fermé, la mesure d’audience des médias, et de leurs contenus publicitaires, est ainsi en constante évolution, pour tenir compte des progrès techniques de diffusion et de création, et des cohérences et exigences de plus en plus fortes dans le retour sur les performances des campagnes publicitaires. Travailler sur un système en révolution permanente n’est-il pas la source numéro un de motivation ?

 

Philippe Tassi