Résumé : L’Equipe fête ses 71 ans en cette année 2017, et même son 117ème anniversaire si l’on intègre la naissance de son père spirituel L’Auto. Au-delà du journal papier historique, le mot recouvre maintenant une marque média globale, presse, digitale, télévisuelle. Il a paru intéressant de dresser un panorama de l’histoire de la marque, compte tenu du rôle qu’elle a joué dans le passé et joue toujours maintenant dans le paysage sportif français. 

Un peu d’histoire

Tout amateur de sport a lu au moins une fois dans sa vie le journal L’Equipe. Le titre apparaît en 1946 et appartient au Groupe Amaury, qui s’est recentré sur le sport depuis la fin 2015. Peu de pays ont l’équivalent d’un journal dédié de ce type ; il peut être comparé à la Gazzetta dello Sport, fondée en 1896, en Italie.

En réalité, la presse sportive naît en France à la fin du XIXème siècle, avec le journal Le Vélo, en 1892. En 1900 est lancé un concurrent, L’Auto-Vélo, sous la direction d’Henri Desgrange. Devant la proximité des deux intitulés, Le Vélo porte l’affaire en justice et gagne en janvier 1903 ; l’Auto-Vélo devient L’Auto. Mais Géo Lefèvre, ancien collaborateur du Vélo, a pris en janvier 1901 la tête de la rubrique cyclisme de l’Auto-Vélo. En novembre 1902, il propose à Henri Desgrange la création d’une course cycliste faisant le tour du pays. Le Tour de France naît en 1903, du 1er au 19 juillet, gagné par Maurice Garin. Le mythe est lancé. Le journal Le Vélo n’y survit pas et cesse son activité fin 1904. L’Auto devient le seul titre sportif national exclusivement à contenu omnisports. Le succès du Tour de France lui assure une aura exceptionnelle.

Après la Libération, le directeur de l’Auto, Jacques Goddet, transforme le journal L’Auto sous l’appellation L’Equipe en février 1946. Le nouveau journal reprend l’organisation du Tour en 1947 après quelques frictions avec Sports, son concurrent de l’époque. L’Equipe et le Parisien Libéré deviennent propriétaires de l’événement estival en 1956.

Un créateur d’événements sportifs

Au milieu des années 50, L’Equipe va être à l’origine d’un autre monument du sport, la Coupe d’Europe des clubs champions, la future Champions League. Comme pour le Tour de France cinquante ans auparavant, l’initiative vient d’un homme, Gabriel Hanot, ancien international, qui est à la fois sélectionneur de l’équipe de France et journaliste à L’Equipe ; à l’époque, c’est encore possible. L’initiative est concertée avec deux autres grands noms du quotidien : Jacques Ferran et Jacques de Ryswick. Une anecdote à propos de Gabriel Hanot ? En juin 1949, l’équipe de France perd 5-1 devant l’Espagne au stade de Colombes. Le journaliste, qu’il est aussi, critique dans L’Equipe les choix du sélectionneur et demande sa démission ; cohérent, il démissionne donc de son poste de sélectionneur.

En décembre 1954 et janvier 1955, il conçoit l’idée d’une compétition réservée aux grands clubs européens champions de leur pays. Le journal L’Equipe s’en fait le porteur, arrive à convaincre seize grandes équipes. Malgré les réticences initiales de l’Union Européenne de Football, la première coupe d’Europe s’achève le 13 juin 1956 par la victoire 4-3 du Real Madrid du président Santiago Bernabeu devant le Stade de Reims du président Henri Germain.

Plus rien n’arrêtera le succès de cette compétition.

Des noms   

L’Equipe, c’est aussi un ensemble de noms de collaborateurs et de journalistes dont les écrits ont une place dans l’histoire de leur sport. Tout choix sera difficile et partial. Alors, au-delà des noms précédemment cités, assumons celui des auteurs de ces lignes : Alain Lunzenfichter, initiateur des premières statistiques sportives ; en athlétisme, Guy Lagorce, ancien international, spécialiste du sprint, futur écrivain à succès avec « Ne pleure pas », et Robert Parienté ; en cyclisme, Pierre Chany, dont Jacques Anquetil dira un jour « j’attends de lire demain l’article de Pierre Chany dans L’Équipe pour savoir ce que j’ai fait, pourquoi et comment je l’ai fait », et bien sûr Antoine Blondin, dont les rubriques pendant le Tour de France valent bien les chefs-d’œuvre que sont « Un signe en hiver », « Les enfants du Bon Dieu » ou « Monsieur Jadis » ; Christian Montaignac, dit Kéké, multi-sportif et écrivain avec « J’entends la neige brûler », en 2002, ou « Etoiles Fuyantes », paru en 2004 ; et enfin les deux chantres du rugby que sont Henri Garcia, pour « Rugby Champagne » en 1960 et « La fabuleuse histoire du rugby », parue en 2013, et Denis Lalanne, dont « Le grand combat du XV de France » publié en 1959 et le remarquable « Ce bleu des maillots et des guerres », en 1969, sont de superbes poésies vraies et sensibles.

Le développement de la marque-média

En 1965, le groupe Amaury, propriétaire du Parisien Libéré, prend le contrôle de L’Equipe. Le groupe est depuis 2015 structuré uniquement autour du sport, avec deux entités principales : d’une part ASO (Amaury Sport Organisation), qui organise et gère de nombreuses compétitions sportives de renommée mondiale, comme le Tour de France, Paris-Roubaix ou Paris-Nice en cyclisme, le « Dakar » en automobile ; d’autre part le pôle L’Equipe, devenu éditeur multi-médias et détenteur d’une marque ombrelle puissante.

Le groupe L’Equipe, historiquement éditeur du journal papier, a développé d’abord le titre par une parution sept jours sur sept, et par un supplément du samedi, L’Equipe Magazine. Sans oublier le changement de septembre 2015, moment où le format du quotidien est devenu un tabloïd, mutation qui a été bien gérée et réussie.

Transformation digitale oblige, comme de très nombreuses marques de presse, le support papier a été complété depuis 2000 par une édition internet, lequipe.fr. Les plus récents résultats de l’étude d’audience de la presse, papier et digital, appelée One Global, publiés en avril 2016 par l’ACPM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias), donnent près de 10 millions de lecteurs au cours des 30 derniers jours pour la version papier, et une couverture globale mensuelle de plus de 15 millions de lecteurs ou internautes de 15 ans ou plus.

La marque L’Equipe s’est enrichie dans le secteur audiovisuel avec le lancement fin août 1998 de la chaîne L’Equipe TV. C’est lors du deuxième appel d’offres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pour la TNT HD, en 2012, que L’Equipe TV est choisie par le CSA pour faire partie de l’offre gratuite couvrant 100 % du territoire. Le 12 décembre 2012, la chaîne prend alors le nom de L’Equipe 21, 21 comme le canal attribué, avant de s’appeler La chaîne L’Equipe depuis le 3 septembre 2016.

L’audience de la chaîne, qui étoffe son offre de programmes et ses retransmissions d’événements en direct, progresse régulièrement ; sa part d’audience en moyenne quotidienne est passée de 0,6 % en 2015 à 0,9 % en 2016, et sa couverture mensuelle, c’est-à-dire le nombre de personnes qui la regardent au moins une fois au cours d’un mois, a dépassé, en décembre 2016, 26 millions sur la population des 4 ans et plus.

La puissance de la marque globale L’Equipe, tous supports médias confondus, papier, internet, télévision, s’exprime par une couverture mensuelle de 60 % des 15 ans et plus, soit plus de 31 millions de personnes.

Après soixante-dix ans d’existence, la marque a donc dépassé le média originel. Dans un article de Delphine Soulas-Gesson publié dans la revue Stratégies de janvier 2017, Jean-Luc Bravi, co-président de l’agence DDB Paris, en charge de la communication du groupe depuis 2003, résume ainsi cette mutation : « Les médias font souvent des campagnes de promotion, pas d’image. Dans le cas de L’Equipe, ce n’est pas un média qui communique, mais une marque ».


Ejnès G. et al, 2006, 60 ans L’Equipe, L’Equipe Ed.

Garcia D., La face cachée de l’Equipe, 2008, Danger Public

L’équipe raconte l’Equipe, 2015, Robert Laffont

Soulas-Gesson D., L’Equipe champion de la pub, Stratégies, 5 janvier 2017

 

Nicolas Sterin et Philippe Tassi
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