L’accélération de la transformation du business et la complexification des environnements transforment  en profondeur les compétences attendues des dirigeants par leur conseil d’administration. Cette mutation est violente et durable. Comme souvent, elle est à la fois un risque et une opportunité, à condition d’en avoir conscience et de faire preuve de résilience !

Qu’est-ce qui distingue les organisations les plus performantes – les vraies, les exceptionnelles – des autres organisations ? Quelles leçons pouvons-nous en tirer ? Qu’est-ce que cela nous apprend ? Heidrick & Struggles a consacré quatre années de recherche quantitative[1] à ce sujet avec la Saïd Business School (université de Oxford) et Wharton Business School.

En appliquant des critères de performance exigeants dans la durée, on trouve une liste étonnamment réduite d’entreprises que l’on a appelées « les super-accélérateurs » : 23 entreprises pour 2016, essentiellement américaines et asiatiques, présentes dans le monde du digital, mais également de l’assurance, de la pharmacie ou de l’environnement. Nos critères sont les suivants :

Quand on examine les résultats de nos 23 entreprises super-accélératrices[1], on observe que leur CAGR (taux de croissance annuel moyen)  sur trois ans est de 24%, soit  9 fois supérieur à la moyenne du CAGR des entreprises du FT500, et qu’il est encore de 20%, soit 4 fois supérieur sur une période de 7 ans. Si Google, Alphabet, BlackRock et Starbuck  appartiennent à cette liste, d’autres organisations sont moins connues telles Ping An insurances ou Cerner Corp. Toujours est-il que ces organisations ont sur-performé leurs concurrents et ont démontré leur capacité d’accélérer leur performance dans la durée.

Nous nous sommes demandé ce que faisaient ces entreprises que les autres  faisaient moins ou moins bien. Nous avons méthodiquement étudié 200 hypothèses et leur lien de causalité avec la performance. Par exemple, le taux de diversité homme/femme (qui est corrélé avec la performance) ou la taille du Corporate (qui n’est pas corrélée avec la performance !).

Finalement, nous avons identifié 13 leviers spécifiques qui ont une action sur leur performance et sur lesquels ces entreprises performent mieux que leurs concurrentes.

Nous avons classé ces leviers en quatre catégories :

  1. MOBILISER: Les super-accélérateurs savent mobiliser l’ensemble de l’organisation autour d’une vision, d’un projet partagé, qui sert d’abord à satisfaire le client : se mettre dans la peau du client au lieu de se regarder le nombril. L’immersion dans l’expérience client (en mettant des dirigeants dans la peau du client) est aujourd’hui le moyen utilisé le plus fréquemment pour comprendre en détail ce que les clients vivent et pour en tirer des enseignements. Une autre pratique innovante consiste à intégrer les clients dans la chaîne de valeur et dans les processus d’innovation pour co-innover avec eux. Tout en protégeant leur propriété intellectuelle, ces entreprises travaillent étroitement avec leurs clients, comme s’ils participaient à tous leurs meetings internes. En complément, les super-accélérateurs mobilisent leurs équipes grâce à un leadership qui crée de l’énergie interne : d’abord en étant plus efficaces (organiser des réunions plus courtes, mieux pilotées, ne pas rediscuter les points déjà décidés, être conscients des risques de burn-out, etc) ; ensuite en responsabilisant les équipes les plus proches des clients et éviter de concentrer les pouvoirs de décision en haut de l’organisation ; enfin en pilotant le portefeuille d’activités avec rigueur[2] et dynamisme, comme si chaque activité pouvait se suffire à elle-même.
  1. Mobiliser, c’est bien mais ça ne suffit pas. Il faut également être un champion de l’EXECUTION! Les super-accélérateurs ont réussi à réduire la complexité et cultivent la simplicité de leur fonctionnement : cela se traduit par le nombre limité de KPIs (key performance indicators, indicateurs clés de performance), par une réduction du nombre de niveaux dans l’organisation et par une attention de tous les instants pour rendre les processus simples, cohérents et évolutifs. Par ailleurs, ils connaissent la valeur et l’impact des talents ; les personnes les plus compétentes sont positionnées sur les postes les plus importants, l’organisation cherche à attirer en permanence les personnes les plus compétentes et elle s’affranchit des contraintes structurelles pour allouer rapidement les ressources aux meilleures opportunités de business.
  1. Le troisième élément distinctif est la TRANSFORMATION. Mettre en place les conditions de l’innovation, encourager l’expression de points de vue dissonants, permettre des discussions franches et honnêtes, sont des constituants de la transformation.
  1. Enfin, l’AGILITE agit comme un facteur multiplicateur… Une organisation pourra mobiliser, exécuter et transformer correctement, mais elle sera d’autant plus accélérante qu’elle est agile. Selon nos recherches, l’agilité repose sur quatre dimensions : la capacité de prévoir et anticiper, l’adaptabilité, la capacité d’apprentissage et enfin la résilience. L’agilité est, de notre point de vue, un très bon prédicteur du potentiel d’un manager, c’est-à-dire de sa capacité à grimper d’un ou de plusieurs niveaux dans l’organisation. C’est d’ailleurs par la mesure de l’agilité d’un manager que l’on peut poser un diagnostic quantitatif sur le potentiel, ou qu’on peut comparer deux candidats pour ainsi repérer celle ou celui qui aura le meilleur potentiel de développement dans une organisation donnée.

En regardant de plus près les super-accélérateurs, non seulement ces entreprises sont bien meilleures que les autres pour mobiliser, exécuter, transformer avec agilité, mais elles ont chacune une façon de se comporter, une « signature » spécifique issue de la combinaison de plusieurs actions.

S’il y a de nombreuses « recettes » qui sont mises en œuvre et qui permettent aux organisations d’accélérer nous n’avons pas trouvé d’entreprises qui ont essayé toutes les recettes permettant de convertir en accélérateurs ce qui les freinent. Au contraire, nous avons découvert que les entreprises super-accélératrices choisissent un nombre réduit d’activités cohérentes, et que leurs choix partent d’une bonne compréhension de leur culture d’entreprise et de leurs avantages concurrentiels. Il y a là beaucoup d’analogies avec les travaux de Michael Porter sur la stratégie[3].

En interrogeant les 23 super-accélérateurs, nous avons identifié les quatre types de recettes qui sont mises en oeuvre :

  • l’intimité avec le client (client intimacy),
  • l’attraction des talents (talent magnet),
  • l’excellence dans l’exécution (execution engine),
  • le management de portefeuilles (portfolio investor).

Ces recettes se traduisent concrètement par la mise en œuvre d’actions-clés assez typiques :

Tout cela est bien beau, mais il nous reste une question à traiter. Si l’on sait mieux sur quels paramètres être meilleurs, la question est : comment faire ? L’étude de nos organisations championnes nous a conduits à l’identification de quatre compétences étonnamment différenciantes :

  • « L’intelligence ondulatoire» (ripple intelligence) est la capacité de percevoir les signaux faibles, de connecter des événements pour envisager l’avenir, la prospective, etc.
  • La fluidité des ressources (resource fluidity), ou comment allouer les bonnes ressources sur les opportunités les plus prometteuses à tout moment, comment fluidifier les ressources clés pour en optimiser l’usage : tout le contraire de la bureaucratie et de la rigidité.
  • Le leadership liquide (liquid leaderhip) est la capacité pour le dirigeant de s’affranchir des structures pour aller chercher les bonnes ressources là où elles se trouvent, pour utiliser la puissance des réseaux sociaux et des communautés de pratiques, mais aussi d’être un modèle pour inspirer ses équipes. Au moment où l’accélération et l’agilité deviennent tellement importantes, respecter scrupuleusement les contraintes de la hiérarchie prend simplement trop de temps ! Certains courants de pensée managériale (holacratie, équipes auto-managées) considèrent que la réponse à ces contraintes est l’élimination de la hiérarchie (Gore, Semco, …). Mais la plupart des grandes organisations ne veulent pas éliminer la notion de hiérarchie en tant que telle, qui garde beaucoup d’attraits (répartition des activités, avantages psychologiques pour les personnes qui préfèrent le contrôle et le principe de progression hiérarchique avec l’expérience, etc).

On peut rendre le  leadership liquide ! Pour cela, nous proposons plusieurs pistes : l’usage du digital (notamment dans la dimension de social media), l’état d’esprit entrepreneurial et intrapreneurial, l’allocation du bon niveau d’autonomie aux équipes de terrain, etc.

  • Enfin, la capacité de surmonter les paradoxes: plus on est haut dans la hiérarchie, plus on est soumis à des paradoxes : voulez-vous contrôler ou déléguer ?  voulez-vous un service client fantastique, ou des coûts les plus bas possible ? La capacité de ne plus choisir entre deux alternatives (« ou … ou … ») mais de trouver une voie pour sortir par le haut (« et … et… ») est clairement une des compétences clés des dirigeants dans notre environnement VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu[1]).

Ces quatre compétences sont tout à fait prédictives de la capacité d’une personne à être un leader performant et inspirant, susceptible de mobiliser, d’exécuter, de transformer avec agilité son organisation. C’est la raison pour laquelle nous utilisons des outils de mesure (tests psychotechniques, 360° feedback, entretiens orientés compétences, etc.) qui mesurent de façon factuelle la maîtrise de ces quatre compétences clés. Ces outils ont été développés spécifiquement pour mesurer les quatre compétences différenciantes,  et font à présent partie de la propriété intellectuelle de Heidrick & Struggles. Il s’agit notamment des guides d’entretien structurés (competency based interview guides), et de l’outil d’évaluation Leadership Acceleration Questionnaire (LAQ). S’agissant du LAQ, nous avons utilisé un modèle ipsatif et normatif[2] et la calibration du test a été réalisée à travers plusieurs centaines d’évaluations sur des populations hétérogènes.

Pour conclure, nous savons que rien ne change dans les organisations tant que les comportements ne changent pas. La transformation des comportements est la clé de la transformation des organisations.


[1] VUCA : un concept introduit par l’armée nord-américaine dans les années 90 pour caractériser les nouvelles menaces asymétriques.

[2] Un questionnaire ipsatif vous oblige à choisir laquelle des affirmations vous interpelle le plus. Un questionnaire normatif vous demande d’indiquer dans quelle mesure vous êtes d’accord avec une affirmation plus qu’avec une autre. La combinaison du normatif et de l’ipsatif permet d’avoir un résultat plus robuste utile à la fois pour des tests de sélection et des tests de développement.

[1] Apple Inc. , Ping An Insurance (Group) Company of China, Alphabet Inc., Comcast Corporation, SoftBank Group Corp,, Cigna Corp., Gilead Sciences Inc. , Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, Danaher Corp., Starbucks Corporation , Tencent Holdings Limited, Tata Consultancy Services Limited, Visa Inc., Cognizant Technology Solutions Corporation, BlackRock, Biogen Inc. , MasterCard Incorporated, The Priceline Group Inc. , Shire plc, HDFC Bank Limited, Cerner Corporation, Intercontinental Exchange, Inc., Illumina Inc.

[2] 40% de la destruction de valeur des entreprises proviennent non pas de mauvaises acquisitions, mais d’être resté trop longtemps sur un marché, une géographie après que l’avantage concurrentiel a disparu.

[3] Les compagnies choisissent entre les coûts, la valeur ou la différenciation. « La stratégie, c’est faire des choix ; c’est le fait de choisir d’être différent » (Fast Company, 28 Feb. 2001)

[1] Voir “Accelerating Performance”, Wiley ed. 2017,  « the transformation mandate », Heidrick & Struggles, 2016, et “Beyond  Performance, how great Organizations build ultimate competitive advantage”, McKinsey ed., 2011

Florence Soulé de Lafont et Hervé Borensztejn
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