Depuis près d’une décennie, l’Afrique est un continent de croissance et d’opportunités. Au cours des cinq dernières années, près de la moitié des vingt pays au monde ayant la plus forte croissance économique se trouvent en Afrique. Les investisseurs sont attirés par les potentiels que représentent l’urbanisation et l’importance grandissante de la classe moyenne. Toutefois, cette croissance économique risque d’être freinée en raison du manque d’infrastructures sur le continent. D’après une étude du diagnostic national des infrastructures africaines (AICD, Africa Infrastructure Country Diagnostic) en 2015, les besoins en infrastructures de l’Afrique subsaharienne sont évalués à plus de 93 milliards de dollars annuels pour les dix prochaines années, et seule la moitié de ce montant serait aujourd’hui disponible. Le partenariat public-privé (PPP) apparaît alors comme un outil important pour combler cet écart.

Les partenariats public-privé sont des contrats par lesquels les pouvoirs publics et des entreprises privées s’engagent à construire ou à gérer ensemble des infrastructures ou d’autres services, en se répartissant le partage des responsabilités, des droits et des risques. Il y a trois principales formes contractuelles de PPP, l’entreprise privée pouvant se contenter de fournir les services, se voir déléguer la gestion, ou se voir confier la construction et le début d’exploitation de l’installation.

Dès lors, quels rôle et enjeux, quels obstacles et quelle stratégie pour développer les PPP en Afrique sub-saharienne?

Les PPP ne sont pas un phénomène nouveau dans les PED (pays en développement), mais constituent aujourd’hui un important levier de développement.

Dès le 19ème siècle, des montages assimilables aux PPP étaient présents dans les PED, puisque dans de nombreux cas, les systèmes de distribution d’eau des grandes villes de ces pays ont été financés, construits et exploités par des investisseurs étrangers, qui de surcroît en étaient propriétaires. En l’absence de régulation adéquate, ces investisseurs ont souvent abusé de leur situation de monopole, ce qui a engendré d’importantes vagues de nationalisation, avant un revirement à la fin des années 1980.  Depuis cette date en effet, de moins en moins de PED disposent d’infrastructures leur permettant de satisfaire aux besoins de leurs habitants. La population croît encore plus vite dans la zone subsaharienne, ce qui aggrave le problème. Les programmes de stabilisation macroéconomique imposent une discipline importante, qui, ajoutée à une solvabilité insuffisante, empêchent ces pays de financer les investissements indispensables aux infrastructures.

Dans ce contexte, les PPP sont alors apparus comme un moyen permettant le développement, une sorte de « troisième voie », entre le monopole d’État et la privatisation. Dans les années 1990, le nombre de personnes desservies par des opérateurs privés dans les PED et dans les pays en transition est passé de 6 millions à 96 millions, tous secteurs confondus. Entre 2000 et 2010, 42 pays africains ont mis en place 248 projets, avec un investissement total de 55,1 milliards de dollars.

Les PPP se sont essentiellement développés dans les infrastructures économiques physiques, telles que les transports, les télécommunications, l’énergie électrique, l’eau et l’assainissement. Entre 1990 et 2010, le développement de la téléphonie mobile dans 90% des pays d’Afrique a fait passer la couverture de ce service de 5% à 60%.

Les PPP présentent de nombreux avantages, notamment pour les PED.

En plus d’augmenter la satisfaction de la demande publique pour des services gouvernementaux efficaces et le financement de projets par des opérateurs privés dans les pays d’Afrique subsaharienne, les PPP présentent les avantages d’une efficacité accrue (en termes de technologie ou de gouvernance), d’un transfert des risques et d’une réduction du niveau d’incertitude liés au partage de coûts entre partenaires publics et privés. À travers la promotion de partenariats novateurs et l’instauration d’un dialogue sectoriel, les PPP permettent ainsi de compenser les carences dans la gestion des services, de renforcer les capacités de programmation et de contractualisation des pouvoirs publics et de contribuer à l’autonomie financière des collectivités locales et des entreprises publiques, tout en favorisant l’intégration régionale.

À plus long terme et au-delà de la promotion d’un environnement favorable aux infrastructures, les PPP créent des opportunités d’emploi, contribuent à la réduction de la pauvreté, à la croissance économique, et in fine, au développement des pays qui en bénéficient.

Des obstacles, dont certains sont inhérents aux économies d’Afrique subsaharienne, sont susceptibles de compromettre le succès des PPP.

Les PPP ne constituent pas une formule magique face au manque de fonds publics. De sérieuses contraintes existent actuellement dans de nombreux pays, ce qui rend difficile la mise en œuvre des projets.

Si l’absence de compétences techniques à même de gérer les programmes et projets de PPP constitue un premier handicap, la plupart des difficultés liées aux PPP reflètent plus globalement les défis à relever a priori pour tout entrepreneur en Afrique : risque politique, incertitude juridique, manque de transparence. L’instabilité politique et civile, ou tout simplement le manque de volonté politique, sont en mesure de compromettre la réussite des projets. Les investisseurs possèdent encore souvent, et peut-être parfois à tort, une perception défavorable du risque pays (risque politique). Par ailleurs, en cas d’évaluation insuffisante de la responsabilité légale, les PPP sont susceptibles de faire peser de potentiels effets indésirables sur les budgets publics (risque juridique). De plus, les PPP sont sensibles au manque de capacité institutionnelle. La corruption est un facteur d’échec des projets, eu égard à la très longue relation qui se tisse entre l’État, les banques et les sponsors (risque institutionnel).

En outre, les PPP peuvent donner lieu à d’éventuelles distorsions de la concurrence pendant les processus d’appels d’offre et les négociations qui s’ensuivent. La récupération des coûts n’est pas toujours garantie à long terme (risque économique). Enfin, les marchés de petite taille, ainsi que l’absence d’infrastructures financières sont dissuasifs pour certains promoteurs (risque financier). Le poids de l’Afrique dans les échanges commerciaux et l’investissement au plan mondial demeure encore relativement limité.

La réussite de l’implémentation des PPP en Afrique subsaharienne repose sur la constitution d’une feuille de route et des recommandations claires.

La réussite d’un PPP dépend de différents facteurs.

Avant de procéder à l’analyse de la faisabilité du projet, il apparaît incontournable de vérifier que les infrastructures sont réellement indispensables à la vie des habitants, et que les tarifs prévus sont justifiés. Les pouvoirs publics doivent jouer un rôle clé pour assurer un équilibre optimal entre la protection de l’utilisateur final et l’attractivité du projet. L’étude de la faisabilité du projet (en lien à l’environnement, la législation, l’économie, etc.) doit s’accompagner de celle de sa viabilité, en développant notamment un cadre budgétaire pluriannuel. L’évaluation des opportunités doit passer par celle du climat général d’investissement, de l’historique des défauts de paiement, du cadre juridique, de l’impact social et environnemental, etc.

Après une préparation soigneuse, il faut s’assurer lors de la négociation du contrat que tous les grands intérêts sont satisfaits ou du moins respectés. Le gouvernement doit informer régulièrement le public sur le projet, ses motivations, ses avantages et inconvénients, ainsi que sur la procédure de sélection.

Les niveaux de compétence élevés exigés par les PPP engendrent un besoin de garantie politique. La stabilité politique du pays doit être assurée. À ce titre, un engagement politique fort et une administration performante sont souhaitables. Une attention particulière doit être portée à l’amélioration du climat des affaires. Par ailleurs, un cadre juridique solide relatif aux PPP doit exister au plus haut niveau de l’État, avec une régulation renforcée ainsi qu’une bonne gouvernance des organismes publics, excluant toute forme de corruption. Enfin, il semble utile de soutenir le développement de capacités locales pour les PPP, les modèles contractuels devant être adaptés aux contextes locaux. Il faut encourager non seulement les coopérations nord-sud, mais aussi sud-sud, à travers par exemple des visites de terrain ou un partage de connaissances et d’expériences.

Face à ces défis, les pays africains construisent déjà activement des cadres – notamment juridiques – adéquats pour les PPP, ce qui constitue un signal important pour les investisseurs, en particulier sur des marchés disposant d’une expérience limitée en termes de transactions et des niveaux élevés de risque politique. Des unités spéciales compétentes en matière de PPP ont été mises en place dans la plupart des administrations d’Afrique subsaharienne et des agences de développement, en vue d’une meilleure coordination et d’une efficacité accrue, grâce au regroupement des compétences spécialisées en un lieu unique.

Si les PPP à eux seuls ne constituent pas une panacée qui permettra à l’Afrique de rattraper les niveaux de développement des pays occidentaux, ils représentent une option intéressante face aux défis actuels des pays africains, en particulier le besoin urgent d’infrastructures. Les PPP ont connu un grand succès dans le cas des infrastructures économiques physiques, ils doivent toutefois encore faire leurs preuves en matière d’infrastructures dites « légères » (« soft »), par exemple dans les domaines de la santé ou de l’éducation.